
Le régime de
Kaboul refuse de faire sortir cinq mille combattants insurgés de ses
geôles alors que
cette libération massive figure dans le texte signé
avec Washington.
Deux jours après avoir signé, à Doha, au
Qatar, un accord de paix historique avec l’ennemi américain, les
talibans afghans ont annoncé, lundi 2 mars, la fin de la trêve
temporaire des violences déclarée le 22 février. Ils ont indiqué
reprendre leurs attaques car le régime de Kaboul refuse de libérer de
ses geôles cinq mille de leurs combattants. Ils ont ajouté qu’ils ne
participeraient à aucune négociation de paix interafghane tant que ces
prisonniers ne retrouveraient pas la liberté. L’accord de Doha vacille
déjà alors que son encre est à peine sèche.
Cette
libération massive figure, en effet, dans le texte signé, samedi
29 février, entre Washington et les talibans. Le document indique qu’en
échange mille membres de forces de sécurité afghanes seraient également
libérés. Mais le président afghan Ashraf Ghani a annoncé, dimanche, ne
pas être tenu par cette promesse faite sans son consentement. Selon lui,
ces remises en liberté ne peuvent être qu’un élément de la négociation
avec les talibans, qui doit débuter le 10 mars, et en aucun cas un
prérequis aux discussions de paix.
Il
est encore difficile de faire la part entre le chant du cygne d’un
accord de paix à peine né et les prémices d’une guerre de position
annonçant un processus de réconciliation nationale beaucoup plus ardu
que les pourparlers de Doha. Une chose est sûre, d’après les talibans,
la période « de réduction des violences a pris fin et nos opérations vont revenir à la normale ». Par leurs canaux habituels, ils ont précisé que « conformément
à l’accord, nos moudjahidin n’attaqueront pas les forces étrangères,
mais nos opérations continueront contre les forces du gouvernement de
Kaboul ».
Lundi, un
attentat à la moto piégée durant un match de football a tué au moins
trois civils et en a blessé onze autres dans la province de Khost (est).
Dans celle de Badghis (nord-ouest), les talibans ont attaqué les
positions de l’armée. Les insurgés ont également kidnappé 55 civils dans
la province de Maidan Wardak, au centre du pays, en assurant que leur
détention cesserait en même temps que celle de leurs camarades. Enfin,
le gouverneur de la province de Zaboul a annoncé que les talibans locaux
avaient lancé des raids contre les postes de police sur l’autoroute
numéro 1.
Lundi,
les autorités américaines insistaient sur la nécessaire patience
qu’impliquait un tel accord. Le chef d’état-major américain, le général
Mark Milley, a mis en garde « les gens qui pensent qu’il y aura une cessation absolue des violences en Afghanistan ». Le secrétaire américain à la défense, Mark Esper, a confié : « Cela va être une route longue, sinueuse, cahoteuse (…), il y aura des hauts et des bas, des pauses et de nouveaux départs. »
L’ennemi méprisé
Selon
l’accord de Doha, les Américains et leurs alliés s’engagent à retirer
toutes leurs troupes d’Afghanistan d’ici quatorze mois si les insurgés
respectent les termes du texte : la poursuite de la « réduction de la violence »,
l’ouverture de discussions entre les insurgés et Kaboul, et un
cessez-le-feu permanent. Lundi, à la délégation des Nations unies à
Kaboul, on espérait que ces escarmouches ne soient qu’« un mode d’entrée en négociation »,
afin d’arriver, le 10 mars, à la table des discussions. De source
américaine, on expliquait que les chefs talibans devaient aussi soigner
leur image en ne paraissant pas céder, aux yeux de leur base, face à
l’ennemi méprisé, le régime de Kaboul.
Si
le commandement taliban s’est évertué à n’employer que le terme de
« libération » et non plus de « victoire », sur le terrain, la réaction
des insurgés différait quelque peu. Lundi, dans le Laghman, une province
frontalière de Kaboul, plusieurs milliers d’habitants et de talibans
ont célébré la « défaite » des Etats-Unis. Des insurgés ont
promis, dans d’autres localités, de continuer leur offensive contre le
gouvernement de Kaboul jusqu’au retour d’un « gouvernement islamique ». Des propos qui contredisent ceux de leur chef militaire, Sirajuddin Haqqani, qui a dit s’engager « à travailler avec les autres parties » dans un « respect sincère afin de convenir d’un nouveau système politique inclusif ».
Pour
sa part, à huit jours du début de la négociation de paix interafghane,
la présidence afghane n’a toujours pas constitué de délégation pour
négocier la paix avec les talibans. Isolé et contesté par la majorité
des forces politiques du pays, le président Ghani est en guerre ouverte
avec le numéro deux du régime, le chef de l’exécutif Abdullah Abdullah.
Lundi, ce dernier, avec d’autres figures du pays, dont l’ex-président
Hamid Karzaï, a annoncé la formation de leur propre équipe de
négociation avec les insurgés. De quoi contrarier, plus encore, le plan
de paix signé samedi par Washington.