WASHINGTON (Reuters) - Donald Trump a évoqué jeudi l'éventualité d'un
report de l'élection
présidentielle prévue le 3 novembre aux
Etats-Unis, une idée immédiatement rejetée aussi bien par ses
adversaires démocrates que par son propre camp républicain au Congrès,
seule institution compétente pour une telle décision.
Pour ses
détracteurs mais aussi pour certains de ses alliés, les propos du
président américain manquent de sérieux et visent uniquement à détourner
l'attention de la mauvaise situation économique des Etats-Unis, qui ont
vu leur produit intérieur brut s'effondrer de près d'un tiers au
deuxième trimestre.
Egalement contesté pour sa gestion de
l'épidémie liée au coronavirus, qui a déjà fait plus de 150.000 morts
aux Etats-Unis, Donald Trump a émis cette possibilité d'un report du
scrutin en renouvelant sa crainte, non étayée par des preuves, d'une
fraude dans les votes par correspondance.
"Avec le vote universel
par correspondance (pas le vote par procuration, qui est bien), 2020
sera l'élection la plus INEXACTE & FRAUDULEUSE de l'Histoire. Ce
sera une grande honte pour les USA", a-t-il écrit sur Twitter. "Reporter
l'élection jusqu'à ce que les gens puissent voter correctement, en
sécurité et de manière sûre???"
Aux termes de la Constitution des
Etats-Unis, il revient au Congrès de fixer la date de l'élection
présidentielle. Le pays a continué à organiser des élections
présidentielles même pendant la Guerre de Sécession, la Grande
Dépression économique des années 1930 et les deux guerres mondiales.
Sept
heures plus tard, Trump a de nouveau tweeté en soulignant cette fois
que les Américains devaient connaître l'issue du vote dans la nuit
suivant l'élection, "et non des jours, des mois ou même des années plus
tard !" en allusion aux inquiétudes qui montent sur une possible
accumulation de retard dans le dépouillement et de recours qui pourrait
plonger les Etats-Unis dans une longue attente.
"Heureux d'avoir
pu amener les très malhonnêtes Médias LameStream (ndlr, jeu de mots à
base des adjectifs 'mainstream', dominant, et 'lame', pour faible ou
boiteux) à commencer à parler enfin des RISQUES contre notre démocratie
de ce dangereux vote universel par correspondance", a-t-il ajouté.
REFUS CATÉGORIQUE DES DÉMOCRATES
Ellen
Weintraub, patronne de la commission électorale fédérale, a rappelé que
Donald Trump ne pouvait pas modifier la date du scrutin et qu'elle ne
devait pas l'être.
Plusieurs élus républicains du Congrès, y
compris le chef de la majorité sénatoriale Mitch McConnell et le chef de
file des représentants républicains Kevin McCarthy, ont aussi rejeté
cette idée.
Le sénateur Lindsey Graham, pourtant proche de Donald
Trump, a pour sa part jugé que "reporter l'élection ne serait
probablement pas une bonne idée".
Côté démocrate, le refus d'un report du scrutin est catégorique.
"Seul
le Congrès peut modifier la date de nos élections", a écrit Zoe
Lofgren, présidente de la commission de la Chambre des représentants
supervisant le bon déroulement des élections. "Nous n'envisagerons en
aucune circonstance de le faire en raison de la réaction inepte et
désordonnée du président à la pandémie de coronavirus ou pour donner
crédit aux mensonges et à la désinformation qu'il propage au sujet de la
façon dont les Américains peuvent voter de manière sûre et sécurisée."
STUPÉFACTION À LA MAISON BLANCHE
La
Maison blanche, où certains semblent avoir été pris au dépourvu par le
message présidentiel, a renvoyé vers son équipe de campagne.
"Le
président ne fait que soulever une question au sujet du chaos provoqué
par les démocrates avec leur insistance sur le vote par correspondance",
a dit Hogan Gidley, attaché de presse de la campagne de Donald Trump.
Un
républicain proche de la Maison blanche s'est dit stupéfait par le
tweet présidentiel. Il a relevé qu'il intervenait après une période de
stabilité dans le message de Donald Trump conformément aux conseils de
son nouveau directeur de campagne Bill Stepien et d'un autre responsable
de sa campagne, Jason Miller.
"A l'évidence, il ne peut pas se
retenir. Cela commence véritablement à ressembler à la campagne
électorale alors il fait ça", a dit cette source républicaine. "C'est
terrible. Il commence à donner l'impression de ne même pas vouloir
gagner."
Distancé dans les intentions de vote par son futur
adversaire démocrate Joe Biden, Donald Trump a déjà exprimé ses doutes
sur la légitimité du vote par correspondance, qui s'est fortement
développé durant les primaires de désignation des candidats en raison de
l'épidémie liée au nouveau coronavirus.
Il a aussi déclaré, sans
là non plus apporter de preuves, que le vote de novembre serait faussé
et, comme en 2016, il a refusé de promettre qu'il respecterait le
résultat officiel du scrutin en cas de défaite.
Les démocrates, et
notamment Joe Biden, se préparent déjà au scénario qui verrait leurs
adversaires républicains contester les résultats, exiger de nouveaux
comptages de voix voire intimider les électeurs dans les bureaux de
vote, ont dit des responsables à Reuters.
Pour le
constitutionnaliste Justin Levitt, professeur à Loyola Marymount
University, la partie vraiment dangereuse du tweet de Trump ne réside
pas sa suggestion de repousser le scrutin - qui, dit-il, relève du
"fantasme" - mais de ses affirmations sur le risque de fraude associé au
vote par correspondance.
"C'est le dernier exemple en date de ce
président s'attachant à saper la légitimité du processus électoral avant
même qu'il se déroule, et c'est profondément déstabilisant",
ajoute-t-il.
(Avec Rick Cowan, David Morgan, Patricia Zengerle,
Susan Heavey, Michael Martina et Joseph Ax; version française Bertrand
Boucey, édité par Nicolas Delame)