Sa soif de pouvoir a très certainement accéléré la chute de son mari, le président zimbabwéen Robert Mugabe. Portrait de Grace Mugabe, une Première dame sulfureuse et colérique, honnie dans un pays qu’elle rêvait pourtant de diriger.
Certaines
formulations ne trompent pas. Celle du communiqué des jeunes de la
Zanu-PF, le tout-puissant parti présidentiel zimbabwéen, portant
dimanche 19 novembre sur le sort à réserver au couple Mugabe
au sein de l’appareil en dit long, très long, sur l’aversion désormais
suscitée par la Première dame, Grace. Son cas est évoqué en premier,
comme pour mieux souligner l’urgence de son règlement. "Nous
exigeons l'expulsion à tout jamais de Madame Mugabe de la Zanu-PF et
exigeons du président Mugabe qu'il démissionne de son poste de président
et premier secrétaire du parti et du poste de président de la
République du Zimbabwe", est-il écrit. "À tout jamais", donc. Difficile
de faire plus définitif. Quelques heures plus tard, leur vœu sera
exaucé. Exit la Première dame, qui dirigeait la très influente branche
des femmes du mouvement. Quant au chef de l'État, au pouvoir depuis
1980, il annoncera finalement dimanche dans la soirée son intention de s’accrocher, tant au parti qu’au pays, provoquant la stupeur et l’indignation de la population.
Pour justifier la procédure de
destitution contre le dirigeant de 93 ans, qu’il enclenchera mardi 21
novembre faute de démission, le parti avance lundi comme explications
les facultés physiques amoindries de Robert Mugabe, mais aussi le fait
"d'avoir autorisé sa femme à usurper des pouvoirs". Grace Mugabe, honnie
dans son pays, ne cachait plus récemment son ambition de remplacer, le
moment venu, son mari à la santé fragile. Pour cela, fallait-il encore
faire tomber une pièce maîtresse, le vice-président Emmerson Mnangagwa,
dont elle convoitait le poste comme tremplin à la fonction suprême. Son
limogeage interviendra le lundi 6 novembre. Un scénario jugé
inacceptable pour l'armée, qui prendra le contrôle du pays deux semaines
plus tard. "L’objectif des militaires
était d’écarter Grace Mugabe, car le limogeage du vice-président ouvrait
la voie à une succession dynastique, la sienne", explique Virginie
Roiron, maître de conférences à Sciences Po Strasbourg, spécialiste du
Zimbabwe, interrogée par France 24. La dévorante ambition de Grâce Mubage aura probablement précipité la chute du régime.
"Égoïste, cruelle, violente"
C’est véritablement en 2014 que
l’appétit de Grace Mugabe pour le pouvoir se révèle, elle qui jusque-là
n’avait montré que peu d’intérêt pour la chose politique. Soutenue
par son mari, elle intègre la Zanu-PF où elle est propulsée à la tête
de la puissante Ligue des Femmes. Cette même année, elle évince de son
poste de vice-présidente Joyce Mujuru, l'une des héroïnes historiques de la guerre d'indépendance et potentielle dauphine de Robert Mugabe, après une campagne lui reprochant de vouloir renverser le président.
Toujours en 2014, Grace
Mugabe, ancienne dactylo, ajoute une ligne universitaire à son CV qui va
faire grincer des dents. Elle décroche en effet un doctorat en
philosophie et sociologie quelques mois seulement après son inscription à
la faculté. Sa thèse devait, comme c'est la norme, être mise à
disposition à la bibliothèque de l'université. Elle ne l'a jamais été...
"Ils veulent qu'on étudie et qu'on passe des examens, mais la Première
dame n'a rien fait de tout ça", assure à l’AFP un étudiant rencontré à
Harare , qui dénonce un "diplôme sexuellement transmis". Un constat
largement partagé au Zimbabwe où la Première dame est soupçonnée d’avoir
voulu se forger une carrure d’intellectuelle à moindre frais.
"Elle a une très mauvaise réputation dans
le pays. Elle est considérée comme égoïste, cruelle et pouvant se
montrer violente. Elle n’inspire pas confiance", affirme le
vice-président zimbabwéen de la Fédération internationale des droits de
l’Homme (FIDH), Arnold Tsunga, à France 24. Mais pourquoi Grace Mubage, 53 ans, née en Afrique du Sud de parents zimbabwéens, est-elle devenue si impopulaire ?
Elle n’a en réalité jamais vraiment été acceptée, ni appréciée par les Zimbabwéens. Elle a
toujours souffert de la comparaison avec la première épouse du chef de
l'État, la respectée Sally Hayfron Mugabe, ancienne militante de la
lutte contre le régime blanc, éduquée et très investie dans la sphère
sociale. Grace aurait entamé sa relation avec le maître incontesté du
Zimbabwe, de 41 ans son aîné, en 1987, alors qu’elle était sa secrétaire
et que Sally luttait contre un cancer. La liaison du chef de l'État n'a
été révélée qu'à la mort de sa première épouse en 1992. Le couple, qui a
déjà deux enfants, se marie en 1996 lors d'une luxueuse cérémonie à
laquelle participe le président sud-africain de l'époque et héros de la
lutte anti-apartheid Nelson Mandela. Un troisième enfant naîtra ensuite
de leur union.
Bague, diamants et coups de sang
Grace Mugabe marque fréquemment les esprits par des excentricités
inacceptables pour les Zimbabwéens frappés par un chômage de masse.
Elle a notamment lancé cette année des poursuites contre un homme
d’affaires libanais qu’elle accuse de ne pas lui avoir remis une bague
de 1,35 million de dollars qu’elle avait commandée pour son anniversaire
de mariage. Surnommée "Gucci Grace" ou
"la Première acheteuse", elle est connue pour son goût immodéré pour le
shopping et des notes exorbitantes qu’elle laisse dans des boutiques de
luxe européennes.
En 2010, elle est accusée d’avoir
empoché plusieurs millions de dollars grâce à la vente illégale de
diamants extraits d’une mine de l’est du pays, ce que révèlent des notes
diplomatiques américaines publiés par Wikileaks.
La Première dame s’illustre
également par ses colères monstres. En 2009, elle frappe un photographe
britannique qui prenait des photos d'elles dans un hôtel de luxe à Hong
Kong. En août dernier, elle est accusée d'avoir agressé un mannequin de 20 ans dans un hôtel du quartier chic de Sandton, à Johannesburg. L'affaire fait scandale, elle s'étale en une des journaux nationaux et internationaux. Visée
par une plainte pour agression, la première dame du Zimbabwe
sollicitera, le 16 août, l'immunité diplomatique à l'Afrique du Sud. Immunité qu'elle obtiendra grâce à l'intervention de son mari. Et gare à quiconque osera la critiquer ou la mettre en cause, Grace Mugabe n’est pas avare de poursuites judiciaires.
Lors d'un entretien accordé à
la télévision publique sud-africaine SABC, elle avait assuré ne plus se
préoccuper de ce que les autres pensaient d'elle. Les Zimbabwéens,
appelés à de nouvelles manifestations dans les jours qui viennent, ne
manqueront pas, de dire, enfin, ouvertement, ce qu’ils pensent de la
sulfureuse Grace Mugabe.
Source: France 24