Après trois décennies au pouvoir, Robert Mugabe a été mis sur la
touche à l’issue d’un coup d’État
qui ne dit pas son nom. Et si ses vieux compagnons d’armes se sont retournés contre lui, c’est d’abord pour contrer sa femme.
qui ne dit pas son nom. Et si ses vieux compagnons d’armes se sont retournés contre lui, c’est d’abord pour contrer sa femme.
Beaucoup le voyaient mourir sur son trône de président
tant il avait fini par croire que cette fonction était gagnée à vie,
mais Robert Mugabe
est finalement en train de tomber. Sur les premiers clichés diffusés
après le coup de force de l’armée, le doyen des chefs d’État africains
apparaît tout sourire, serrant la main de son tombeur et chef
d’état-major, Constantino Chiwenga. La mise en scène ne parvient
cependant pas à faire disparaître l’air hagard de cet homme de 93 ans,
malade d’un cancer et lucide seulement quelques heures par jour.
Après plus de trois décennies au pouvoir, Robert Mugabe n’a
plus que les traits de l’autocrate qui avait annoncé une fois encore sa
candidature à la présidentielle de l’année prochaine, bien loin du
visage du héros de la lutte pour l’indépendance. Incroyable animal
politique, il n’a cette fois pas su anéantir ses adversaires. Sa volonté
d’installer sa femme, Grace, n’a pas été supportée par ses compagnons
de lutte. Emmerson Mnangagwa – dont le limogeage, le 6 novembre, du
poste de vice-président a été le faux pas de trop – tente désormais de
s’imposer comme le nouvel homme fort.
Le 14 novembre, lorsque les chars ont pris position dans
Harare, aucune scène de liesse n’a eu lieu dans la capitale. Car, plus
que la joie, l’incertitude et les interrogations prévalent désormais
autour de cette chute au scénario aussi surréaliste qu’inattendu.
Que s’est-il vraiment passé ?
Coup d’État ? « Transition assistée par l’armée », comme
l’ont affirmé les militaires ? Pendant des jours, il est resté difficile
de qualifier l’intervention de l’armée zimbabwéenne à Harare. Il s’agissait, en réalité, de mettre hors d’état de nuire l’une des factions au pouvoir : celle de Grace Mugabe.
Surnommée Disgrace ou Gucci Grace en raison de son penchant pour le
luxe, cette ancienne secrétaire a connu une ascension météoritique après
son mariage, en 1996, avec ce président de quarante et un ans son aîné.
Son influence, d’abord prégnante dans l’économie, s’est
étendue à la politique à mesure que déclinait la santé de son époux.
Agglomérant une partie des jeunes cadres du parti, la « Génération 40 »,
elle a d’abord réussi, en 2014, à écarter la vice-présidente Joice
Mujuru, considérée comme possible dauphine, puis a pris la tête de la
Ligue des femmes de la Zanu-PF (au pouvoir).
Ces dernières semaines, elle ne faisait plus mystère de sa
volonté de succéder à Mugabe. Détestée pour ses ambitions démesurées et
son style brutal, elle a commis une faute en demandant publiquement la
tête de son rival, Emmerson Mnangagwa. Que Robert Mugabe ait fini par
lui céder, le 6 novembre, a été l’élément déclencheur.
Or Mnangagwa était à la tête d’une autre faction, au moins
aussi puissante. Autour de cet ancien guérillero, âgé de 75 ans, sont en
effet regroupés les généraux, les vétérans de la lutte pour la
libération et les sécurocrates. Bref, la vieille garde qui s’est
enrichie en récupérant les terres et les biens des anciens colons blancs
et qui n’avait aucune intention d’abandonner ses privilèges. Pour elle,
le problème n’était donc pas Robert Mugabe mais l’influence qu’exerçait
son épouse. Ils l’ont contrecarrée au moment où ils pouvaient encore le
faire.
Les sécurocrates conserveront-ils le pouvoir ?
L’intervention des Forces de défense zimbabwéennes (ZDF) a
été nette et sans bavure, signe d’une préparation minutieuse. En
quelques heures, elle a encerclé la résidence de Mugabe, arrêté certains
de ses ministres et pris possession de la télévision d’État pour
prononcer un message très calibré. « C’est sans doute l’armée la plus
efficace d’Afrique subsaharienne », lâche, admiratif, un responsable
congolais, qui l’a vue en action sur son sol, en soutien des autorités
de Kinshasa, pendant la deuxième guerre du Congo (1998-2003).
Du général Constantino Chiwenga, commandant des ZDF, au
général Sibusiso Moyo, leur porte-parole, la plupart des officiers
supérieurs de l’armée sont très soudés autour de Mnangagwa : ils ont
lutté ensemble contre le régime de Ian Smith, puis en RD Congo.
Il n’est par ailleurs pas certain que Mnangagwa soit assez populaire pour l’emporter à la loyale
Soucieux de ne pas s’attirer les foudres de la SADC et de
l’UA, ils n’ont pas osé destituer officiellement Mugabe. Mais cela
pourrait leur coûter cher. « Généralement, une armée qui commet un coup
d’État prend directement les choses en main, pour éviter toute remise en
question, rappelle Blessing-Miles Tendi, zimbabwéen et maître de
conférences à l’université d’Oxford. L’option retenue par les ZDF montre
qu’il n’y avait pas nécessairement un consensus, au sein de l’armée,
pour un renversement de Mugabe. »
En cas de sortie de crise par des élections, il n’est par
ailleurs pas certain que Mnangagwa soit assez populaire pour l’emporter à
la loyale. « Les ZDF sont plus divisées qu’il n’y paraît, poursuit
Tendi. Il y a aussi en son sein une nouvelle génération, qui n’a pas
connu la guerre de libération. Si la transition s’enlisait, ces clivages
pourraient commencer à apparaître. »
Comment va réagir la SADC ?
Les premières nouvelles de Robert Mugabe, « détenu à son
domicile mais en bonne santé », sont venues de la présidence
sud-africaine, le 15 novembre. Après s’être entretenu au téléphone avec
son homologue, Jacob Zuma a immédiatement envoyé des émissaires chargés
de négocier une issue à la crise. Rien ne permet néanmoins d’assurer que
le « Camarade Bob », lié à l’ANC, le parti au pouvoir en Afrique du
Sud, par les luttes pour l’indépendance, pourra cette fois compter sur
le soutien inconditionnel de son voisin.
Car Jacob Zuma n’est pas Thabo Mbeki. Plus jeune, il
entretient des relations un peu distantes avec Mugabe et semble opter
pour une résolution pragmatique de la crise. « Il est difficile
d’imaginer que Zuma n’était pas au courant de ce que tramait
l’état-major zimbabwéen », analyse un diplomate basé dans la région.
Deux jours seulement avant le coup de force, Constantino Chiwenga a fait
une brève escale en Afrique du Sud, où se trouvait également Mnangagwa.
L’Afrique du Sud devrait influencer les prises de position de la SADC
Il pourrait, selon certaines sources, s’être entretenu avec
des représentants des services de sécurité sud-africains. « Ce qui
importe à Zuma, c’est la stabilité. Étant donné les intérêts économiques
sud-africains au Zimbabwe, il ne peut se permettre une nouvelle crise.
D’autant que cela annoncerait un nouvel afflux de Zimbabwéens en Afrique
du Sud », commente Liesl Louw, de l’Institut des études de sécurité de
Pretoria.
Poids lourd de la sous-région, l’Afrique du Sud devrait
influencer les prises de position de la SADC. Médiatrice au Zimbabwe
depuis l’élection de 2008, la sous-région a réclamé le respect de
l’ordre constitutionnel. « Les chefs d’État de la sous-région sont sans
doute divisés. Mugabe est une figure tutélaire, mais il agace, et
certains sont prêts à le lâcher. Le problème, c’est qu’ils ne peuvent
cautionner un coup d’État, il faut donc trouver un moyen juridique qui
permette qu’il soit écarté plus ou moins légalement », poursuit Liesl
Louw. D’autant que les nouveaux hommes forts de Harare, issus du sérail,
sont bien connus des pays voisins. C’est par exemple le cas de
Mnangagwa, Chiwenga et Moyo, qui sont bien introduits à Kinshasa.
La Chine était-elle au courant ?
Le récent voyage de Constantino Chiwenga en Chine éveille
les soupçons. Trois jours après l’éviction de Mnangagwa, il était à
Pékin, où il rencontrait le commandant des forces terrestres de l’Armée
populaire de libération, Li Zuocheng, puis le ministre de la Défense,
Geng Shuang.
« La paix, la stabilité et le développement du Zimbabwe font partie des intérêts fondamentaux du pays et de la région » explique le porte-parole de Geng Shuang
Le 13, il était de retour au Zimbabwe, d’où il lançait sa
fameuse menace « d’intervenir ». Après le putsch, le porte-parole de
Geng Shuang s’est contenté de déclarer que « la paix, la stabilité et le
développement du Zimbabwe font partie des intérêts fondamentaux du pays
et de la région ».
La Chine a été un soutien clé de la Zanu-PF pendant
la lutte pour la libération – Mnangagwa y a d’ailleurs été formé. Elle
est aussi – et de très loin – le premier investisseur étranger au
Zimbabwe, ce qui lui confère un intérêt direct à sa stabilité.
Que va faire l’opposition démocratique ?
C’est un opposant amaigri et diminué par la maladie qui est
apparu à Harare au lendemain du coup de force. Revenu précipitamment
d’Afrique du Sud, où il était soigné depuis la mi-septembre pour un
cancer du côlon, Morgan Tsvangirai a appelé son ennemi de toujours à
démissionner. « Cela n’a jamais été une affaire personnelle », a-t-il
souligné, plaidant pour la mise en place d’un gouvernement de
transition. Il précisait aussi n’avoir eu ni Jacob Zuma ni aucun
responsable sous-régional au téléphone.
Biti a déjà estimé qu’il paraît improbable que la présidentielle puisse se tenir en 2018 comme prévu
Le crépuscule du pouvoir de Mugabe aurait dû avoir pour lui
un goût de victoire, il s’annonce déjà comme une occasion manquée. À
l’image de son leader historique, l’opposition zimbabwéenne paraît
dépassée par les événements et affaiblie par les rivalités. Aux côtés du
Movement for Democratic Change (MDC) de Tsvangirai, deux autres
coalitions tentent d’exister, la Coalition of Democrats (Code) et la
People’s Rainbow Coalition de Joice Mujuru.
Selon plusieurs sources, elle pourrait se voir proposer un
poste, tout comme Tendai Biti, l’ancien ministre des Finances du
gouvernement Tsvangirai. « Ce ne serait qu’un vernis qui permettrait aux
militaires de satisfaire la communauté internationale », considère
néanmoins un spécialiste du pays. Signe de l’inquiétude face à cette
reprise en main de l’armée, Biti a déjà estimé qu’il paraît improbable
que la présidentielle puisse se tenir en 2018 comme prévu et a évoqué
« un cauchemar surréaliste. »
Source: jeuneafrique.com