C’est probablement l’élection à tête de l’ANC (African National Congress) la plus importante de son histoire. Du 16 au 20 décembre, plus de 5 000 délégués du parti au pouvoir se réunissent pour élire leur prochain leader. Une élection qui se tient tous les cinq ans, mais qui cette année est particulièrement critique tellement les enjeux sont élevés : corruption, déclin du parti, mais aussi avenir du président Jacob Zuma.
C'est une élection cruciale car non seulement celui ou celle qui va
succéder au président Jacob Zuma à la tête du mouvement, lui succédera à
la tête du pays, en cas de victoire du parti aux prochaines élections
de 2019. Mais surtout parce que le plus vieux parti de lutte pour
l’indépendance du continent est en pleine crise, miné par les divisions,
la corruption et le népotisme. Et le choix du prochain leader va être
déterminant pour l’avenir du mouvement.
L’ANC - en perte de popularité – a déjà perdu le contrôle de deux
métropoles, Johannesburg et Pretoria, lors des élections municipales,
l’année dernière. Et, selon Teffo Lesiba, politologue l’université de
Pretoria, le mouvement historique de Nelson Mandela pourrait perdre les
élections présidentielles de 2019 s’il ne se ressaisit pas : « Après
23 ans au pouvoir, l’ANC elle-même, reconnaît qu’elle fait face à une
possible perte du pouvoir. Non pas parce que l’opposition est forte,
mais parce que le parti est déchiré par les luttes internes… Les gens
sentent que le parti est corrompu, son âme déchirée.. et met les
intérêts des dirigeants avant celui du peuple… l’ANC s’est rendu compte
qu’elle s’est mis à dos une partie de la population et qu’elle pourrait
perdre les élections de 2019. »
Au total, 5 240 délégués de l’ANC vont donc devoir élire le leader d’un parti qui n’a jamais été autant divisé.
Le duel entre Cyril Ramaphosa et Nkosazana Dlamini-Zuma
Sept candidats sont en lice. Mais deux favoris ont d’ores et déjà été
choisis par les différentes fédérations à travers le pays. D’un côté,
il y a Nkosazana Dlamini-Zuma, ex-présidente de la commission de l’Union
africaine et ancienne femme de l’actuel président jacob Zuma. Elle
représente l’aile populiste et traditionnaliste de l’ANC. Elle se
présente comme la candidate de la continuité et a le soutien du chef de
l’Etat ainsi que des différentes ligues des femmes, des jeunes de l’ANC.
« Elle n’a pas vraiment présenté de programme concret » estime le politologue indépendant Daniel Silke, « là où elle s’est exprimé le plus fermement c’est sur le besoin de transformer radicalement l’économie » au profit de la majorité noire.
Face à elle, l’actuel vice-président du pays Cyril Ramaphosa,
syndicaliste devenu homme d’affaires avant de revenir en politique. Il
représente les réformistes du parti, ceux qui veulent se dissocier de la
politique de l’actuel président. Il est le candidat préféré des modérés
du parti, estime Daniel Silke, « il a très clairement indiqué
qu’il s’attaquerait à la corruption et poursuivrait les responsables...
il a également mis en avant un projet de relance économique qui séduit
les investisseurs locaux et internationaux. »
Dans un parti divisé entre pro et anti Zuma, Ramaphosa se présente
comme l’homme capable de redorer le blason du mouvement avant l’élection
de 2019.
La surprise Ramaphosa
L’élection du président de l’ANC doit avoir lieu samedi. Et, à ce
jour, Cyril Ramaphosa a une légère avance sur sa rivale Nkosazana
Dlamini-Zuma. La semaine dernière, les différentes fédérations à travers
le pays ont fait connaitre leur préférence. Et le vice-président est
arrivé en tête avec le soutien de 1 862 fédérations. Contre 1 309 pour
Dlamini-Zuma. Il est le candidat préféré de cinq des neuf provinces que
comporte le pays. Alors qu’elle a le soutien des plus grosses provinces,
notamment le Kwazulu Natal, sa province d’origine.
C'est une surprise pour la plupart des analystes politiques, dont Anthony Butler, politologue à l’Université du Cap : « La
position de Ramaphosa semble être plus forte que prévue, notamment
parce qu’il a réussi à obtenir le soutien de près de 200 fédérations au
Kwazulu Natal qui est une province que tout le monde croyait entière
acquise à Dlamini-Zuma. »
« Mais, évoque encore le politologue, il a également
réussi à obtenir d’importantes majorités dans d’autres grosses
provinces, comme le Limpopo, le Cap Oriental et le Gauteng. De nombreux
analystes s’attendaient à ce que Dlamini-Zuma soit en tête, ça n’est pas
le cas. Et je pense que tout le monde est surpris par le poids de
Ramaphosa. »
Mais rien n’est gagné pour le vice-président du pays. Il ne s’agit
que d’une tendance. Toutes les fédérations n’ont pas le même poids,
certaines vont envoyer plus d’un délégué à ce congrès. Et surtout les
délégués, bien qu’ils soient tenus de voter pour le choix de leur
fédération, ont le dernier mot une fois dans l’isoloir.
Pour Ivor Sarakinsky, politologue à l'université de Wits, ce bulletin
à vote secret est la porte ouverte au lobbying et aux achats de voix : « Cela
veut dire que les délégués peuvent percevoir de l’argent en échange de
leur vote et se faire corrompre par un camp ou par un autre qui aurait
besoin de voix supplémentaires. L’ANC n’a jamais caché que ce phénomène
d’achat de voix existait et était un réel problème. Et les dirigeants du
parti dénoncent régulièrement cette pratique. »
Une incertitude d’autant plus grande que dans une province, le
Mpumalanga, aucun des deux favoris n’est arrivé en tête. La majorité des
voix est allée à un candidat fictif... Vers qui ira donc cette
importante réserve de voix le jour du vote ?
L’avenir de Jacob Zuma
Les analystes prédisent une bataille à couteau tiré entre les deux
candidats et leurs supporters lors de ce congrès. Car, non seulement il
en va de la survie du mouvement mais également du futur du président
Jacob Zuma, embourbé dans les scandales et qui pourrait être rattrapé
par la justice une fois qu’il ne sera plus au pouvoir.
Cyril Ramaphosa a promis d’agir contre la corruption et faire en
sorte que le pays ne devienne pas un Etat mafieux. Sa rivale, Nkosazana
Dlamini-Zuma est resté discrète sur le sujet. Mais en cas de victoire,
on l’a soupçonné de vouloir protéger son ex-mari. « Sa grande faiblesse vis-à-vis de Jacob Zuma, c’est leurs quatre enfants », estime la journaliste Carien du Plessis. « Ce sera très difficile pour elle de laisser s’engager des poursuites judiciaires contre lui », ajoute-t-elle, « je pense que ses enfants la persuaderont de le protéger. »
Les Sud-Africains veulent du changement, affirme l’analyste Teffo
Lesiba de l’université de Pretoria. Et cela même au sein de l’ANC. Ils
voient Jacob Zuma comme le symbole de la corruption, alors que leur vie
est devenue de plus en plus difficile. Le taux de chômage dépasse les
27%, le double chez les jeunes, et cette année la croissance ne devrait
pas dépasser les 1%. « En cinq ans il (Zuma) a passé plus de temps à se défendre devant la justice, explique Lesiba, qu’à s’occuper du pays. »
« Les délégués doivent prendre conscience que l’ANC s’est aliénée le peuple sud-africain. » ajoute-t-il. « Il
faut qu’ils élisent les bonnes personnes qui vont mettre l’intérêt du
pays avant les leurs, afin de restaurer la confiance en ce mouvement. »
Le congrès de l’ANC va se tenir à Soweto, le berceau de la lutte
contre l’apartheid. C’est là que Tami Ntenteni enseignait début des
années 70, quand il a rejoint la lutte armée à l’âge de 21 ans.
Aujourd’hui, il fait partie d’un groupe d’une centaine de vétérans de
l’ANC. Des anciens respectés qui se désolent du déclin moral de leur
organisation et demandent du changement. « Les plus
belles années de ma vie ont été au service de cette organisation et de
mes compatriotes sud-africains. Aujourd’hui je ne peux pas tolérer que
l’ANC meure pendant que je suis encore là… car j’ai donné toute ma vie à
l’ANC. »
Ntenteni ne cache pas que, pour lui, Jacob Zuma est grandement
responsable du déclin de l’organisation. Et que le plus tôt il sera
parti, le mieux l’ANC s’en portera. Jacob Zuma, même s’il n’est plus
président de l’ANC à l’issue de ce congrès, doit rester à la tête de
l’Etat jusqu’aux élections générales de 2019 à moins que le parti ne
l’évince ou qu’il ne démissionne.
Le vice-président doit prendre la suite. C’est la règle de l’ANC. Et j’espère que cette élection ramènera l’unité dans le parti.