C’est l’une des leçons méconnues de l’année expirée et un
avertissement sans frais (pour l’instant)
aux chefs d’État du continent
qui pensent que la « Chinese connection » équivaut à une assurance tous
risques face aux pressions occidentales. L’histoire retiendra que, le 15
novembre 2017, a eu lieu à Harare le premier coup d’État africain
réalisé avec l’approbation, voire les encouragements, de la Chine.
Et que ce brusque changement à la tête du Zimbabwe s’est
fait au détriment du président qui lui était sans doute le plus proche.
En décembre 2015, autant dire avant-hier, à l’issue d’une visite de cinq jours du président Xi Jinping
au cours de laquelle ce dernier avait promis d’investir 4 milliards de
dollars dans le secteur de l’énergie, le très sinophile Robert Mugabe
annonçait que le Zimbabwe reconnaissait désormais le renminbi comme
monnaie de réserve officielle, au même titre que le dollar et l’euro. Ce
geste, qui ne pouvait que flatter les ambitions globales de la Chine,
personne au monde n’avait encore osé le faire (1).
Alors que l’Occident plaçait le régime et le pays sous
sanctions, les Chinois construisaient routes et stades, équipaient
l’armée, investissaient dans le diamant et le tabac, multipliaient les
prêts. Entre le vieil autocrate – qui un jour d’exaltation avait déclaré
que son pays se tournait désormais « vers l’Est, où le soleil se lève »
tout en offrant son dos « à l’Ouest, où le soleil se couche » – et la
nouvelle superpuissance mondiale, l’amitié paraissait indéfectible.
De la lune de miel à la lune de fiel
Que faisait donc l’auteur du coup d’État, le général Constantino Chiwenga, dans la capitale chinoise quatre jours avant le putsch ?
Que s’est-il donc passé pour que, à peine deux ans plus
tard, le même Xi Jinping ne verse aucune larme, fût-elle de crocodile,
sur celui que Pékin n’a cessé de couvrir d’éloges pour son glorieux
passé de combattant de la libération, au point d’être le premier à
adresser un chaleureux message de félicitations à son successeur,
Emmerson Mnangagwa ?
Et que faisait donc l’auteur du coup d’État, le général Constantino Chiwenga,
dans la capitale chinoise quatre jours avant le putsch, si ce n’est
recueillir l’assentiment des autorités sur ce qu’il était en train de
préparer ?
La réalité est que, depuis la mi-2016, la lune de miel
virait à la lune de fiel. Mécontents de la nouvelle loi d’indigénisation
imposant aux entreprises étrangères de réserver 51 % de leur
actionnariat aux Zimbabwéens et inquiets de la dégradation rapide de la
situation politique interne, les dirigeants de Pékin avaient en tête un
scénario cauchemar : celui de la chute de Kadhafi en 2011. Incapables
d’anticiper l’effondrement de la Libye, les Chinois perdirent dans le
chaos des milliards de dollars d’investissements et de prêts partis en
fumée et durent rapatrier en catastrophe 30 000 de leurs ressortissants.
Se débarrasser de Robert Mugabe tout en préservant leurs
intérêts était donc devenu une priorité. La solution d’un changement
d’homme sans changement de régime offerte par le tandem
Mnangagwa-Chiwenga, tous deux issus partiellement de la matrice des
académies militaires chinoises, convenait donc parfaitement à ce que
recherchait Pékin.
Préservation des intérêts chinois
Que faut-il retenir de cette petite révolution qui fera date dans les coulisses de la Chinafrique ?
Dans la semaine qui a suivi son accession au pouvoir, le
nouveau président zimbabwéen a aboli la loi d’indigénisation qui
pénalisait les investissements chinois et reçu en échange un prêt de
153 millions de dollars de l’Exim Bank of China. C’est ce qu’on appelle
un partenariat gagnant-gagnant, donnant-donnant.
Que faut-il retenir de cette petite révolution qui fera date
dans les coulisses de la Chinafrique ? D’abord que cela a été rendu
possible par l’absence totale – et sans doute durable – de l’autre superpuissance : les États-Unis.
À la fois par conviction et de par son comportement personnel, Donald
Trump a ôté à l’Amérique toute volonté et toute prétention à exercer le
moindre leadership moral et politique – le fameux soft power démocratique – sur le continent.
Au Zimbabwe, où, en outre, l’ancienne puissance coloniale
britannique a depuis longtemps perdu tout crédit, les Chinois n’avaient
pas de rivaux en mesure de contrecarrer leurs calculs. Ils en ont
d’ailleurs de moins en moins en Afrique.
Deuxième leçon : si, de Dakar à Djibouti et d’Alger à
Pretoria, la diplomatie chinoise répétait jusqu’ici les mêmes éléments
de langage – « nous sommes les amis des bons et des mauvais jours et
nous n’intervenons jamais dans les affaires intérieures » –, il convient
désormais d’ajouter « à condition que nos intérêts ne soient pas
menacés ».
Enfin, et c’est sans doute la leçon la plus immédiate : plus
ils joueront les premiers rôles sur le continent africain, moins Xi
Jinping et ses collaborateurs seront enclins à assumer celui de bouée de
sauvetage pour chefs d’État en détresse. Soucieux de ne pas sombrer
dans l’hubris néoimpérialiste et sensibles aux réactions de rejet des
populations locales, les Chinois se sont in extremis résolus à
lâcher leur vieux camarade Mugabe, devenu incontrôlable, et même à
faciliter sa chute. Un scénario tout prêt à resservir ailleurs.
1. Depuis, selon la Banque de Chine, six pays africains
ont (à l’instar du FMI en 2016) reconnu le renminbi comme monnaie de
réserve.
par
François Soudan
François Soudan est directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Source: Jeune Afrique
François Soudan est directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Source: Jeune Afrique