Les Tunisiens ont commencé à voter dimanche pour les premières
élections municipales depuis la
révolution de 2011, un scrutin jugé
crucial pour enraciner au niveau local le processus démocratique mais
accueilli sans ferveur dans l'unique pays rescapé du Printemps arabe.
A l’ouverture, à 08H00 locales (07H00 GMT), une quinzaine
d’électeurs se sont présentés dans un bureau du centre de Tunis : à
l’image de la campagne, l’enthousiasme est apparu moindre qu’en 2011, et
la foule moins nombreuse que lors des élections législatives et
présidentielle de 2014. Une forte abstention est ainsi pressentie.
Les résultats ne sont eux attendus qu’au cours des prochains jours.
« C’est un droit mais aussi un devoir », a de son côté affirmé à
l’AFP un électeur, Ridha Kouki, 58 ans. « Même si on n’a pas beaucoup
d’espoir, et si les projets sont vides, je viens quand même accomplir
mon devoir », a-t-il ajouté.
Sept ans après la révolution, qui avait suscité de nombreux espoirs,
beaucoup de Tunisiens se disent démobilisés en raison d’une inflation
proche de 8%, d’un chômage toujours aussi élevé et des « arrangements »
entre partis dominants, aux premiers rangs desquels Nidaa Tounès -fondé
par le président Béji Caid Essebsi- et les islamistes d’Ennahdha.
« Pour la première fois (depuis la révolution) le peuple tunisien est
appelé à participer à des élections municipales, un événement qui
paraît ordinaire alors qu’il est très important ! », a pour sa part
clamé vendredi M. Essebsi, appelant à une « participation massive ».
Repoussées à quatre reprises en raison de blocages logistiques,
administratifs et politiques, ces municipales constituent les premières
élections depuis les législatives et la présidentielle de 2014, alors
saluées par la communauté internationale.
Ce dimanche, les 11.185 bureaux de vote du pays accueilleront jusqu’à
18H00 (17H00 GMT) les Tunisiens qui éliront leurs conseillers
municipaux à la proportionnelle à un tour. Ces conseillers devront
ensuite élire les maires d’ici la mi-juin.
« Lettre aux politiciens »
Quelque 60.000 policiers et militaires -qui ont déjà voté fin avril
par anticipation, pour la première fois de leur histoire– ont été
mobilisés : la Tunisie demeure sous état d’urgence depuis une série
d’attentats jihadistes meurtriers en 2015.
A Kasserine, une zone marginalisée du centre-ouest, le vote n’aura
d’ailleurs lieu que de 09H00 à 16H00 « par mesure de sécurité », selon
l’instance chargée des élections (Isie). Des groupes extrémistes armés
sont retranchés dans les montagnes avoisinantes.
Plus de 57.000 candidats sont en lice, dont la moitié de femmes et de
jeunes. Sur les 2.074 listes en course, 1.055 sont issues de partis,
860 indépendantes et 159 de coalition, selon les chiffres de l’Isie.
De petites files d’électeurs se sont formées devant certains bureaux
de vote avant l’ouverture. « Je suis là depuis 07h30 », a expliqué
Chokri Haloui, 45 ans. « Le fait de voter me rend fier, c’est une lettre
aux politiciens pour leur dire +nous avons voté, à vous de nous montrer
ce que vous allez faire+ », a-t-il dit en sortant tout sourire de
l’isoloir.
Une partie de la population dit tout de même espérer une amélioration de son quotidien : propreté, transports et développement.
Dans la foulée de la chute du régime de Zine Al Abidine Ben Ali en
2011, les municipalités avaient été dissoutes et remplacées par de
simples « délégations spéciales », dont la gestion a été jugée
défaillante au fil du temps.
Certains attendent aussi que les localités soient rendues plus
attractives pour les investisseurs, afin de relancer le développement.
Décentralisation
A ce titre, ces municipales marquent le premier pas tangible de la décentralisation, inscrite dans la Constitution et l’une des revendications de la révolution.
Sous la dictature, les municipalités n’avaient que peu de pouvoir de
décision, étant soumises au bon vouloir d’une administration centrale
souvent clientéliste.
Mais le pays est désormais doté d’un Code des collectivités locales,
voté in extremis fin avril, qui en fait pour la première fois des
entités administrées librement et fortes d’un début d’autonomie.
Pour des experts, les deux poids lourds de la vie politique, Ennahdha
et Nidaa Tounès, qui sont les seuls à avoir présenté des listes dans
toutes les municipalités ou presque, pourraient rafler la mise.
Ennahdha a indiqué sa volonté de poursuivre à l’échelon local le consensus forgé avec Nidaa au plan national.
Ce scrutin doit malgré tout permettre de voir émerger une nouvelle
génération d’élus. Il sera suivi de législatives et d’une présidentielle
en 2019.
Pour cette dernière, le président Essebsi, 91 ans, n’a pas encore fait connaître ses intentions.
Source: Jeune Afrique