
L’Afrique et ses 1,2
milliard d’habitants sont présentés comme le continent où les
populations sont
les plus fortement exposées à des risques divers. La
qualité de l’habitat y est souvent faible, quoiqu’en amélioration, les
infrastructures sont manquantes, les risques de maladie sont élevés, et
les instabilités politiques font qu’on ne sait jamais tout à fait de ce
que réserve l’avenir.
Dans une récente étude sur le secteur de la santé en
Afrique, il a été établi que les populations consacrent 60% de leurs
revenus pour se soigner, alors qu’une couverture maladie universelle
serait un bond départ pour leur alléger la charge. De même, la
sécheresse qui a affecté plusieurs régions d’Afrique de l’Est et
d’Afrique australe en 2016, a de nouveau mis en évidence le coût
économique et social considérable des catastrophes naturelles en Afrique
subsaharienne.
Selon une analyse du FMI réalisée en 2016, des facteurs
structurels tels que le faible développement du secteur financier, les
difficultés d’accès au crédit, la forte part de l’agriculture pluviale
dans le PIB et les niveaux élevés de pauvreté absolue, limitent la
capacité de nombreux pays africains à surmonter rapidement les
catastrophes naturelles et à renforcer leur résilience au fil du temps.
Or, même si la région a été le théâtre de l’une des
plus fortes croissances du marché des assurances dans le monde ces deux
dernières décennies, le taux de pénétration de ces services qui se
mesure par le volume des primes émises (somme payée pour garantir les
risques) sur le Produit Intérieur Brut demeure très faible, quoiqu’avec
certaines disparités.
Dans des économies puissantes comme le Nigéria et son
dauphin l’Angola, les taux de pénétration y sont extraordinairement
bas, respectivement de 0,3% et 0,7%.
Ainsi, l’Afrique du sud se détache complètement du
reste de la région, avec un taux de pénétration qui, en 2017, était
estimé selon la plateforme Statista, était de 17%. Dans des économies
puissantes comme le Nigéria et son dauphin l’Angola, les taux de
pénétration y sont extraordinairement bas, respectivement de 0,3% et
0,7%. Et globalement, le peu de marché existant est le fait des
assurances obligatoires comme l’assurance automobile et des grosses
multinationales qui ont des standards à respecter.
L’argument le plus souvent utilisé est celui de
dire que cette situation est le fait d’une pauvreté très répandue au
sein de la population. Mais on peut être étonné de constater, que dans
des quartiers chics de Cocody à Abidjan (Côte d’Ivoire), les Almadies à
Dakar (Sénégal), ou encore Bonapriso à Douala (Cameroun) de très jolies
habitations à des prix de loyers très élevés, ne sont pas toujours
assurées. Cela amène à se demander pourquoi l’Afrique, et les Africains
en général, ne semblent pas habités du désir naturel et universel de
sécuriser les patrimoines et les revenus.

Pourquoi, en Afrique, de très jolies habitations à des prix de loyers très élevés, ne sont pas
toujours assurées ?
toujours assurées ?
Ce que devrait être le marché des assurances en Afrique
Pourtant, en effet, des études historiques tendent à
démontrer, que l’Afrique est le berceau de l’assurance tel qu’on la
connait aujourd’hui. Les historiens de l'assurance mentionnent souvent
le fait que des fouilles archéologiques ont mis en évidence l'existence,
vers 1400 av. JC, de sociétés de secours mutuel chez les tailleurs de
pierre de l'Égypte pharaonique, qui ont construit les temples et les
pyramides.
Selon la trace qui remonte à plus de 3500 ans, ils
appliquaient déjà les principes de l'assurance, qui consiste au paiement
préalable d'une cotisation pour mutualiser un risque aléatoire
(accident, décès, maladie) en vue de recevoir une prestation en cas de
réalisation de ce risque.
Selon la trace qui remonte à plus de 3500 ans, ils
appliquaient déjà les principes de l'assurance, qui consiste au paiement
préalable d'une cotisation pour mutualiser un risque aléatoire
(accident, décès, maladie) en vue de recevoir une prestation en cas de
réalisation de ce risque. Les plus anciennes opérations d'assurance
documentées dans le monde auraient donc eu lieu dans une Afrique qui,
finalement est le berceau de beaucoup de choses dont elle a perdu
l’usage.
L’Afrique du Sud est un aussi un sujet d’histoire
intéressant. Pendant une bonne période, ce pays était le leader mondial
de l’assurance, avec un taux de pénétration proche de 19% en 2002. Les
choses ont décliné progressivement. En fait, ce pays minier, développé
avec de forts capitaux occidentaux, illustre ce que devrait être le
marché des assurances en Afrique.
Enfin, on ne peut s’empêcher de faire une analyse de
ces comportement spontanés dans le cadre de regroupements ethniques ou
utilitaires sous la forme de réunions du week-end. Le mot assurance
n’est pas utilisé, mais on a observé notamment chez les commerçants
africains, des pratiques de tontines, qui permettent de réparer des
dégâts subits par un commerçant membre de ces réunions. Et plus
récemment, la jeunesse montante, avec plus de revenu, est plus soucieuse
de se protéger contre des risques. Donc oui l’Africain est ouvert à
l’assurance.

Une Afrique qui, finalement, est le berceau de beaucoup de choses dont elle a perdu l’usage.
Des résistances bien compréhensibles
Dans ce cas, comment comprendre que ce faible niveau de
pénétration du secteur dans la région ? Le principal frein souvent
évoqué à propos de l’assurance africaine est la règlementation. Malgré
les modifications en la matière, les cadres dirigeants du secteur qui se
sont confiés dans le cadre d’un Baromètre produit en 2017, s’inquiètent
du manque d’harmonisation entre les juridictions, qui accroît les coûts
liés au respect des normes.
Des différences significatives persistent en effet
entre les marchés. Seuls ceux de la Conférence interafricaine des
marchés d’assurance (CIMA) présentent une approche réglementaire
cohérente. Certains assureurs craignent que les régulateurs ne
choisissent un autre extrême et enferment le marché dans un cadre
d’exigences plus strictes. Par ailleurs, de nombreux marchés disposent
d’un cadre réglementaire, mais ne l’appliquent pas de manière
systématique et prévisible.

La Conférence interafricaine des marchés d’assurance (CIMA) présente une approche
réglementaire cohérente.
réglementaire cohérente.
Mais la vérité est que ces aspects règlementaires ne
concernent que la perception des investisseurs du secteur. L’assurance a
mauvaise presse auprès d’une majorité de la population africaine dont
les revenus sont déjà réduits. En effet, avant de payer des primes
d'assurance, il faut d'abord faire face aux urgences comme
l’alimentation, les vêtements, la scolarité des enfants et les plaisirs
de base, qui font croire à certains que l’assurance c’est une perte
d’argent, c’est pour les Occidentaux qui en ont les moyens.
Ce dernier point est justement celui qui constitue le
deuxième blocage des assurances au sein de l’opinion publique en
Afrique. Les individus se refusent encore à rentrer dans des scénarios
rationnels et institutionnels de couverture de risque. Face à une
catastrophe, les gens savent qu’ils peuvent compter sur la solidarité
africaine (familles, amis et entourages immédiats), qui pourtant
n’apporte plus de grands résultats. Lors de la survenance d’un accident,
les familles se cotisent pour aider le sinistré, et lorsque c’est
grave, on voit de plus en plus de gens demander l’aide des autorités.
Les assurés sont convaincus de la mauvaise foi des
assureurs, qui à leur tour soupçonnent les assurés de multiplier des
stratagèmes pour recevoir des indemnisations sur des sinistres fictifs
ou orchestrés
Cette attitude à elle seule devrait être un signal, que
les Africains ont comme tout le monde besoin de protection, mais pour
cela, il faut une expertise appropriée pour développer des produits
d’assurance adaptés et tenant compte des valeurs et de l’environnement
local. Mais là-dessus, les assureurs ciblant les Africains semblent
avoir échoué à effectuer une éducation à l’assurance et à comprendre
leurs clients. Les procédures de souscription sont floues, et celles de
réparation des dommages sont extrêmement complexes, voire manichéennes.
Parfois aussi, l’assuré est traité comme un coupable, par des agents peu
qualifiés dont l’objectif est de collecter plus de prime possible sans
rien offrir de concret en retour.
On relèvera aussi l’asymétrie d’information. Les
assurés sont convaincus de la mauvaise foi des assureurs, qui à leur
tour soupçonnent les assurés de multiplier des stratagèmes pour recevoir
des indemnisations sur des sinistres fictifs ou orchestrés. Or il
n’existe pas toujours de règle claires qui imposent des délais de
règlement des sinistres. Dans la zone CIMA par exemple, les sociétés
d’assurance se retrouvent aujourd’hui avec des dizaines de milliards de
FCFA de primes collectées, dont on ne retrouve pas les bénéficiaires.
Ces capitaux sont en train de devenir de véritables sources de conflits
en terme de régulation.
Enfin, la dernière entrave est liée au coût des
assurances. Dans un pays comme le Cameroun, les primes d’assurance sont
surévaluées par la taxe sur la valeur ajoutée de 19,25% et un niveau
élevé de l’impôt sur le bénéfice et sur le revenu des capitaux
mobiliers. Ces charges plombent la rentabilité des sociétés d’assurance
et les obligent à vendre leurs services à des prix élevés.

Sur le continent, les principales manœuvres sont conduites par Sanlam.
Toutes les études actuelles s’accordent pourtant à dire
que le faible taux de pénétration de l’assurance constitue une
opportunité. Depuis 2007, le renforcement des régulations a contraint
des petits assureurs à se regrouper. Les opérations de fusion,
acquisition ou investissements greenfield de la part de grand groupe
d’assurance se sont multipliées. Sur le continent, les principales
manœuvres sont conduites par Sanlam, l’assureur sud-africain, qui est en
train d’établir son hégémonie, après le rachat de Saham Finance, acteur
le plus présent sur le marché africain de l’assurance, et même de la
réassurance via Continental Re.
Des alternatives centrées sur la protection des plus pauvres
Mais déployer une plus forte pénétration de l’assurance
requiert bien plus que les investissements pour des couches de
clientèles les plus nanties. Intervenant dans le cadre de la conférence
inaugurale de la 42ème conférence inaugurale de la FANAF (Fédération des
sociétés d'Assurances de droits National Africain) qui se déroule
depuis le 12 février à Kigali, François Xavier Albouy, a partagé l'idée
selon laquelle le recours aux TIC, ne suffira à soutenir l'accès du plus
grand nombre aux services de couvertures des risques. « Tous les
ans, nous faisons le constat que les primes d'assurance couvrent à peine
20% de la population mondiale. Certe, les primes augmentent parce que
la classe moyenne a tendance à s'enrichir et les volumes de primes
collectées sont importants. Mais il est évident que ce secteur qui
existe depuis trois siècle déjà, ne couvre que 20% de la population
mondiale. On a le sentiment que quelque chose ne va pas », faisait savoir ce professeur d'économie, expert des questions de risques.
« Mais il est évident que ce secteur qui existe
depuis trois siècle déjà, ne couvre que 20% de la population mondiale.
On a le sentiment que quelque chose ne va pas »
Pour lui, l'élargissement significatif du taux de
couverture des assurances part, non pas de l'utilisation du mobile, mais
de la capacité à trouver des techniques et technologies d'assurance
permettant d'atteindre tout le monde. « Si on prend par exemple la
chaîne de valeur du cacao, l'exportateur est assuré, le transformateur
de la matière première est assuré, le bateau qui transporte les fèves
est assuré, mais le producteur lui ne l'est pas, et en plus il ne reçoit
que 4% de la valeur ajoutée finale de son produit », prenait-il comme exemple.
« Si on prend par exemple la chaîne de valeur du
cacao, l'exportateur est assuré, le transformateur de la matière
première est assuré, le bateau qui transporte les fèves est assuré, mais
le producteur lui ne l'est pas.»
Dans une étude publiée en avril 2018, Oxfam explique
que les gouvernements, ou tout autre porteur de risque, comme les
coopératives qui sont mieux implantées en Afrique, devraient être les
titulaires de contrats d’assurance visant à atténuer les conséquences
des risques climatiques ou des catastrophes naturelles sur les
populations pauvres. Dans ces modèles, le gouvernement, ou un « porteur de risque » à l’instar d’une coopérative, est effectivement le titulaire d’un contrat d’assurance.
Du point de vue de l’organisation, un partenariat
public, privé et personnel est indispensable afin de rééquilibrer les
rôles et les intérêts de tous. Le soutien des mutuelles et des
coopératives qui occupent souvent une place unique pour aider les
communautés pauvres, est également nécessaire. Et de ce point de vue,
les bailleurs et les gouvernements doivent veiller à ce que les
personnes les plus pauvres bénéficient d'une protection contre divers
risques et à qu’un bon équilibre soit trouvé entre les priorités de
financement du développement et la protection contre les risques
climatiques ou les catastrophes naturelles.
Idriss Linge
Source: Ecofin Hebdo