
En se positionnant en tant
qu’eldorado salarial pour les entreprises chinoises obsédées par la
réduction de leurs coûts, l’Ethiopie est en train de tirer parti du
rééquilibrage de l’économie de l’Empire du milieu. Mais le statut de
«nouvelle usine la Chine» que l’ex-royaume d'Abyssinie est en passe
d’acquérir est déjà contesté par d’autres challengers africains
cherchant à capter une partie de 85 millions d’emplois industriels qui
quitteront le pays le plus peuplé de la planète. Un nouveau chapitre de
l’histoire de la Chinafrique s’ouvre…
Le fameux «made in China» sera-t-il bientôt remplacé par le «made in Ethiopia»
? Il est encore tôt pour répondre par l’affirmative à cette question.
Mais les experts sont unanimes: l’Ethiopie est en train de se
positionner en tant qu’usine low-cost de la Chine et de se faire un nom
sur la carte mondiale des délocalisations des industries
manufacturières.
De Kombolcha (Nord) à Hawassa (Sud) en passant par Dukem et Bole Lemi (centre), des parcs industriels et des zones économiques spéciales inspirées du modèle chinois fleurissent.
De Kombolcha (Nord) à Hawassa (Sud) en passant par Dukem et Bole Lemi (centre), des parcs industriels et des zones économiques spéciales inspirées du modèle chinois fleurissent.
Quelque 279 entreprises industrielles originaires de
l’empire du milieu ont déjà transféré une partie ou la totalité de leurs
activités dans ces véritables enclaves industrielles chinoises, et plus
de 100 autres entreprises sont en cours d’implantation.
Six grands parcs industriels construits par des
entreprises chinoises, et majoritairement financés par l’Exim Bank of
China, sont déjà opérationnels. Quelque 279 entreprises industrielles
originaires de l’empire du milieu ont déjà transféré une partie ou la
totalité de leurs activités dans ces véritables enclaves industrielles
chinoises, générant plusieurs dizaines de milliers d’emplois, et plus de
100 autres entreprises sont en cours d’implantation dans le deuxième
pays le plus peuplé du continent, selon les données de la commission
éthiopienne de l’investissement (EIC).

Six grands parcs industriels construits par des entreprises chinoises, et majoritairement
financés par l’Exim Bank of China, sont déjà opérationnels.
financés par l’Exim Bank of China, sont déjà opérationnels.
Installé dans l’Eastern Industrial Zone à Dukem, le
groupe chinois Huajian produit chaque jour plus de 6000 paires de
chaussures en cuir, qu’il exporte essentiellement vers les Etats-Unis
pour des marques prestigieuses telles que Guess, Toms, Naturalizer ou
encore Marc Fisher.
A Hawassa, un parc industriel construit en neuf mois
par la China Civil Engineering Corporation pour un investissement de 250
millions de dollars, Indochine Apparel sous-traite pour des marques
occidentales de prêt-à-porter aussi célèbres que Guess et Levi’s tandis
que les principaux donneurs d’ordre de Jiangsu Sunshine Group sont
Giorgio Armani et Hugo Boss.
L’arrivée massive des entreprises chinoises a entraîné
dans son sillage des délocalisations de plusieurs grands groupes
occidentaux spécialisés dans le textile-habillement comme le géant
américain PVH, détenteur des marques Calvin Klein and Tommy Hilfiger, et
le groupe suédois de prêt-à-porter Hennes & Mauritz (H&M), mais
aussi de grosses pointures opérant dans d’autres activités
industrielles comme General Electrics, Dow Chemicals et Unilever.
Les parcs industriels éthiopiens attirent par ailleurs
de plus en plus d’entreprises japonaises, indiennes, indonésiennes et
turques.

Mekelle Industrial Park en construction.
Champion incontesté de la croissance en Afrique
La dynamique d’industrialisation initiée en 2010 à la
faveur du plan de croissance et de transformation (Growth and
Transformation Plan), lancé par l’ancien Premier ministre, feu Meles
Zenawi, est loin de ralentir. Huit nouveaux parcs industriels devraient
sortir de terre d’ici 2020 pour permettre au secteur industriel de
représenter 20 % du PIB et 50 % du volume des exportations du pays d'ici
2025.
«Le plan de transformation de l’économie
éthiopienne prévoit de créer un total de 2 millions d'emplois dans le
secteur manufacturier d'ici 2025. Jusqu’ici, notre économie est
essentiellement agraire, mais cela va changer rapidement», souligne le directeur de la commission éthiopienne de l’investissement, Belachew Mekuria.

4 milliards de dollars pour la voie ferrée reliant Addis-Abeba à Djibouti.
Premier partenaire économique de l’Ethiopie, la Chine
est aussi le premier investisseur étranger dans le pays. Outre son rôle
de locomotive de l’industrialisation de ce vaste pays d’Afrique de
l’Est, la Chine investit massivement dans les secteurs du BTP, des
transports et des télécommunications. Ce sont en effet les groupes China
rail engineering corporation (CREC) et China civil engineering
construction corporation (CCECC) qui ont construit la voie ferrée
reliant Addis-Abeba à Djibouti, pour un investissement de 4 milliards de
dollars, en partie financée par l’Exim Bank of China. Mise en service
en janvier dernier, cette première ligne ferroviaire électrique
transfrontalière d'Afrique a permis de réduire la durée du trajet entre
la capitale éthiopienne et la ville portuaire de Djibouti à 10 heures au
lieu de 48 heures.
Le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat est
passé de 1111 dollars américains en 2010, à 2161 en 2017, tandis que le
taux de pauvreté est passé dans le même temps de 45 % à 22%.
La diversification à marche forcée de l’économie
éthiopienne contribue à changer, peu à peu, l’image de ce pays de près
de 100 millions d’habitants. Avec un PIB en hausse de 9% en moyenne
depuis douze ans, l’Ethiopie est désormais le champion incontesté de la
croissance en Afrique. Certains analystes n’hésitent plus à la surnommer
le «tigre de l’Afrique», par analogie aux pays émergents du
sud-est asiatique. Le pays qui abrite le siège de l’Union Africaine (UA)
devrait voir son PIB progresser de 8,5% en 2018, selon les prévisions
du Fonds monétaire international. Le PIB par habitant en parité de
pouvoir d’achat est passé de 1111 dollars américains en 2010 à 2161 en
2017, tandis que le taux de pauvreté est passé dans le même temps de
45 % à 22%. Le pays, qui ambitionne d’intégrer le club des nations à
revenu intermédiaire d’ici 2025, a également réussi à multiplier par
quatre son taux de scolarisation dans le primaire et à diviser par deux
le taux mortalité infantile.
Des salaires dix fois moins élevés qu’en Chine
Selon les calculs de The Economist Intelligence Unit
(EIU), le pays des Négus a attiré 4,2 milliards d’investissements
directs étrangers durant l’exercice 2016-2017, grâce notamment aux
investissements chinois dans le secteur manufacturier. Cet engagement
croissant de la Chine en Ethiopie est tout sauf une affaire de charité.
Il s’agit plutôt d’un marché gagnant-gagnant. L’Ethiopie y gagne une
diversification inespérée de son économie et une importante réduction
d’un chômage encore endémique, qui touche environ 25% de la population
active. La Chine, elle, est en train de réaliser ce que l’Europe et les
Etats-Unis ont fait en Asie au cours des dernières décennies : obtenir
des coûts de production avantageux pour son industrie.
La Chine, elle, est en train de réaliser ce que
l’Europe et les Etats-Unis ont fait en Asie au cours des dernières
décennies : obtenir des coûts de production avantageux pour son
industrie.
L’Ethiopie offre aux entreprises manufacturières qui
plantent leurs fanions dans ses parcs industriels une ribambelle
d’incitations fiscales et d’avantages douaniers. Cela va d’une
exonération d’impôt durant cinq ans à une exemption de taxes sur
l'importation de biens d'équipement, en passant par la possibilité de
bénéficier des avantages du programme AGOA (Africa Growth and
Opportunity Act), un régime de préférences commerciales accordé par les
États-Unis aux pays d’Afrique subsaharienne. Les coûts énergétiques sont
également bas, grâce aux nombreux barrages hydroélectriques dont
dispose le pays.

Le fameux «made in China» sera-t-il bientôt remplacé par le «made in Ethiopia» ?
L’abondance de la main-d’œuvre et son faible coût
arrivent cependant en tête des avantages comparatifs de l’Ethiopie. A
Addis-Abeba, le salaire moyen dans l’industrie manufacturière tourne
autour de 60 dollars par mois contre plus 600 dollars en Chine.
A Addis-Abeba, le salaire moyen dans l’industrie
manufacturière tourne autour de 60 dollars par mois contre plus 600
dollars en Chine.
L’Ethiopie représente à ce titre un avant-poste des
délocalisations chinoises qui vont s’accélérer. Le temps où l’usine du
monde faisait la loi sur le marché de la production à bas coût est
révolu. Les salaires des ouvriers chinois ont pris l’ascenseur dans un
contexte de rééquilibrage du modèle de croissance vers la demande
intérieure et l’abandon de l’ultra-dépendance aux exportations à faible
valeur ajoutée. Conséquence : les entreprises chinoises cherchent plus
que jamais à transférer leurs activités les plus intensives en main
d’œuvre peu qualifiée dans de nouveaux eldorados salariaux, non
seulement pour préserver leurs marges, mais aussi pour rester
compétitifs par rapport à des concurrents prêts à déplacer des sites
industriels comme des briques de Lego.
Une multitude de concurrents africains aux aguets
Dans cette arène, qui n’obéit qu’à la loi d’airin
(théorie économique selon laquelle le salaire moyen ne dépasse pas le
minimum vital nécessaire à la subsistance et à la reproduction de
l'ouvrier, compte tenu des habitudes et du degré de civilisation d'un
pays), le faible coût du travail en Ethiopie rivalise même avec les
destinations asiatiques les plus low-cost comme le Vietnam et le
Bangladesh, où le salaire moyen dans le secteur manufacturier est
respectivement de 122 et 68 dollars.

L’Ethiopie rivalise avec les destinations asiatiques les plus low-cost comme le Vietnam et le
Bangladesh.
Bangladesh.
En Afrique, les nouveaux chemins de la délocalisation
sont toutefois nombreux et encombrés. De plus en plus de pays du
continent pouvant offrir des coûts logistiques plus avantageux que ceux
du pays enclavé de la Corne de l’Afrique, grâce à leurs infrastructures
portuaires modernes, font des appels du pied à la Chine, qui devrait
délocaliser 85 millions d’emplois industriels dans les prochaines
années, selon les prévisions de la Banque mondiale.
Le Rwanda, la Tanzanie, le Kenya et le Nigeria
accueillent depuis quelques années des entreprises industrielles
chinoises grâce au coût réduit de leur main-d'œuvre, mais aussi grâce à
la taille de leur marché national ou régional et à leurs bonnes
performances logistiques.

La lutte anti-impérialiste des années 60 à fait place au Monopoly industriel.
En Egypte, une cinquantaine d’entreprises chinoises
sont déjà implantées dans la zone économique spéciale construite par la
Chine au nord du golfe de Suez. Le Maroc a, quant à lui, signé l’an
dernier une convention avec le groupe chinois Haite pour l'édification
d'une ville industrielle, qui accueillera quelque 200 compagnies
chinoises opérant dans la construction automobile, l’industrie
aéronautique ou encore le textile. Cette ville, qui sera érigée sur 2000
hectares près du port de Tanger, pour un investissement d'un milliard
de dollars, devrait générer à terme100 000 emplois.
Cette ville, qui sera érigée sur 2000 hectares près
du port de Tanger, pour un investissement d'un milliard de dollars,
devrait générer à terme100 000 emplois.
Dans cette partie de Monopoly industriel qui se joue
sur le continent, la Chine communiste fait jouer la pure et parfaite
concurrence propre au libéralisme. Le géant asiatique est en train de
construire pas moins de sept grandes zones économiques spéciales en
Afrique: Chambishi et Lusaka en Zambie, Jinfei à Maurice, Ogun et Lekki
au Nigeria, Suez en Egypte, et Eastern Industrial Zone en Ethiopie.
Les pays du continent qui capteront la majeure partie
des délocalisations chinoises ne seront pas forcément les
«moins-disants» salariaux, mais plutôt ceux qui investiront le plus dans
les ressources humaines.
«On voit de plus en plus d’industriels chinois
regarder vers l’Afrique pour y délocaliser certaines de leurs activités.
L’histoire de la Chinafrique est en train de changer. On passe petit à
petit d’un modèle fondé sur l’exploitation des matières premières à un
modèle reposant sur l’utilisation des ressources humaines», résume
l’économiste David, ex-directeur de la Banque mondiale pour la Chine et
ancien représentant du Trésor américain à Pékin, dans un rapport rédigé
pour le think tank américain Brookings Institution.
Selon lui, les pays du continent qui capteront la majeure partie des délocalisations chinoises ne seront pas forcément les «moins-disants» salariaux, mais plutôt ceux qui investiront le plus dans les ressources humaines. Dans ces conditions, le remplacement du «made in China» par le «made in Ethiopia» reste très hypothétique.
Walid Kéfi
Source: Ecofin Hebdo