Exilé au Qatar depuis deux ans, Karim Wade voit les
obstacles se multiplier sur la route de sa
candidature à l’élection présidentielle, en février 2019. De la modification du code électoral à la question de sa supposée nationalité française, passage en revue des principales difficultés susceptibles de l’empêcher de concourir à la magistrature suprême.
candidature à l’élection présidentielle, en février 2019. De la modification du code électoral à la question de sa supposée nationalité française, passage en revue des principales difficultés susceptibles de l’empêcher de concourir à la magistrature suprême.
« Ma détermination est intacte pour affronter [Macky Sall] dans des élections
qu’il essaie déjà de vous voler en espérant pouvoir choisir les
candidats qui pourront l’affronter », déclarait Karim Wade, le 15 juin,
dans un communiqué au vitriol diffusé à l’occasion de la Korité. Une «
détermination intacte » mais des obstacles juridiques bien réels, depuis
la condamnation de l’ancien ministre à une peine de six ans de prison
pour enrichissement illicite, en mars 2015.
En témoignent les déclarations du ministre de la Justice Ismaïla
Madior Fall, le 10 juin, sur les ondes de la TFM, à propos d’une
candidature de Karim Wade : « La loi prévoit que si un citoyen est
condamné à cinq ans d’emprisonnement au moins, il perd ses droits civils
et politiques. » En d’autres termes, la condamnation de l’intéressé par
la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) l’empêcherait d’être candidat.
Modification du code électoral
Le garde des Sceaux a-t-il dit vrai ? Dans le code électoral
sénégalais figure effectivement l’article L. 31, qui interdit de
s’inscrire sur les listes électorales, pendant une durée de cinq ans,
toute personne condamnée « pour l’un des délits passibles d’une peine
supérieure à cinq ans d’emprisonnement » – ce qui pourrait donc être le
cas de Karim Wade. Mais rien n’indique pour autant que cela empêcherait
ladite personne de se porter candidat à un scrutin présidentiel.
La donne a changé avec l’adoption par le Parlement, ce 18 juin, d’un projet de loi portant modification du code électoral.
Ce texte oblige en effet tout candidat à être inscrit au préalable sur
les listes électorales. Une position défendue par Aymérou Gningue, le
chef du groupe parlementaire de la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY) : «
Comment pourrait-on être candidat sans être électeur ? Je suis moi-même
maire d’une commune, et il me paraît normal que l’édile y soit aussi
électeur. »
Dans une vidéo diffusée le 16 avril dernier, Karim Wade avait mis en
scène sa demande d’inscription sur les listes électorales à l’ambassade
du Sénégal au Koweït. Souriant, il y exhibait le récépissé signé par le
président de la commission administrative. « Sa demande est actuellement
examinée à Dakar », indique à Jeune Afrique une source à
l’ambassade de Koweït City. En l’occurrence, cet examen dépend de la
Direction de l’autonomisation des fichiers, au ministère de l’Intérieur,
qui est chargée de l’actualisation du fichier électoral.
Karim Wade figurera-t-il sur les listes électorales ?
Cité par l’Agence de presse africaine (APA), le ministre de
l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye a fait référence à l’opposant, ce 18
juin, alors qu’il défendait devant les députés le projet de loi portant
révision du code électoral. « Quand on a sa carte d’électeur, c’est
qu’on est inscrit sur les listes électorales, a-t-il déclaré. Mais Karim
[Wade] ne s’est pas inscrit sur les listes. Il a juste fait la demande
pour y figurer. »
Son nom y figurera-t-il ? À en croire Doudou Ndir, président de la
Commission électorale nationale autonome (Cena), l’heure de vérité
approche. « Les listes électorales provisoires doivent être publiées
très prochainement, peut-être début juillet, explique-t-il. Il y aura
ensuite une phase contentieuse avant la consolidation et la publication
de la liste définitive. »
« Débusquer les traîtres »
Dans un communiqué diffusé le 12 juin, le Parti démocratique
sénégalais (PDS, opposition) estimait quant à lui que « rien, ni dans la
Constitution ni dans aucune autre loi, n’interdit à notre candidat de
se présenter à la prochaine élection présidentielle, et encore moins un
jugement prononcé par Macky Sall [celui de la CREI] qui viole l’ordre
public international. »
«
Toute tentative de priver le peuple [du droit de choisir son prochain
président] sera considérée comme une trahison et le PDS se réservera le
droit de débusquer les traîtres pour leur réserver le sort qu’ils
méritent », assénait le parti d’Abdoulaye Wade.
Autre difficulté en travers de la candidature du fils de l’ancien
président sénégalais, que ne manque pas de soulever le camp au pouvoir :
l’amende de 138 milliards de francs CFA (soit 215 millions d’euros)
infligée par la CREI dans son jugement de mars 2015.
Gracié par le président Macky Sall en juin 2016, libéré de la prison de Rebeuss et exilé depuis au Qatar,
Karim Wade est cependant toujours redevable de cette somme à l’État
sénégalais. « Les sanctions financières contenues dans la décision de
justice du 23 mars 2015 et la procédure de recouvrement déjà engagée
demeurent », précisait ainsi le décret de grâce signé par Macky Sall.
« Une forme de marchandage »
Que se passerait-il en cas de retour de Karim Wade sur le sol sénégalais ? Comme le soulignait Jeune Afrique
dans son numéro daté du 11 juin, le président Macky Sall a une idée
très précise quant au sort qui serait réservé au candidat déclaré du
PDS. « Si Karim Wade ne paie pas son amende, on exécutera la contrainte
par corps », a-t-il ainsi affirmé à l’un de ses proches. En d’autres
termes, l’opposant en sera quitte pour un nouveau séjour derrière les
barreaux en cas de non paiement. Une position déjà exprimée publiquement
par Seydou Guèye, le porte-parole du gouvernement, qui assurait
récemment que Karim Wade ne bénéficierait d’aucun traitement de faveur.
« On pourrait résumer leur position ainsi : si Karim Wade les laisse
en paix, il n’aura pas à craindre la prison, estime Babacar Gaye, le
porte-parole du PDS. Il y a une forme de marchandage de la part du
pouvoir. »
Quid de sa nationalité française ?
Face au mutisme du principal intéressé, difficile de dire si Karim Wade a répudié sa nationalité française.
C’est pourtant l’une des conditions de sa participation à l’élection
présidentielle au Sénégal – la Constitution dispose en effet que « tout
candidat à la présidence de la République doit être exclusivement de
nationalité sénégalaise ».
Pour se défaire de sa nationalité française, le demandeur doit faire
jouer l’article 23-4 du Code civil français, qui permet la « libération
des liens d’allégeance envers la France ». La demande est alors
transmise pour examen à la sous-direction de l’accès à la nationalité
française (SDANF), qui dépend du ministère de l’Intérieur.
Sur le site du ministère, une note précise « qu’en moyenne annuelle,
calculée sur la période comprise entre 2012 et 2014, 156 demandes de
libération des liens d’allégeance ont été déposées et ont donné lieu,
dans 90 % des cas, à une décision favorable ».
D’après un juriste au fait de ces questions, « le gouvernement, au
cours de l’instruction, s’attachera à vérifier que Karim Wade manifeste
une volonté d’expatriation, ce qui peut poser problème si l’intéressé
possède des propriétés et une résidence en France ».
« Quoi qu’il en soit, le gouvernement dispose d’un pouvoir de
décision discrétionnaire. Mais s’il rejette la demande de perte de la
nationalité française, sa décision doit être motivée », ajoute-t-il.
Source: Jeune Afrique