Les dictateurs africains ne sont pas à
court d’ingéniosité pour développer le culte de leur personne. Le
dernier en date est le président burundais Pierre Nkurunziza qui a été
élevé au rang de « Guide suprême éternel ». Ce faisant, il s’inscrit
dans la tradition d’un certain nombre de dictateurs comme Jean-Bedel
Bokassa, Muammar Kadhafi, ou Mobutu qui ont été également féconds en
matière d’initiatives et stratagèmes pour prendre l’ascendant sur le
peuple et se maintenir au pouvoir. Si la responsabilité des dictateurs
est manifeste, celle des peuples, « adhérant » à leurs stratagèmes,
n’est pas à éluder. Comment alors, les dictateurs africains
manipulent-ils leurs peuples ?
L’instrumentalisation des référents historiques
L’histoire du continent africain a
enregistré au fil du temps des héros qui font encore aujourd’hui la
fierté de l’Afrique. Des décennies après les indépendances officielles
des pays africains, le discours anticolonialiste continue de galvaniser
les peuples et de propulser leurs auteurs au pouvoir non plus pour un
réel changement mais juste pour changer de main au pouvoir et exercer
parfois plus de dictature. Ce levier est souvent exploité par les
dictateurs qui s’érigent en dernier rempart contre le néo-colonialisme
face à des populations préparées depuis longtemps à voir le colon comme
la source de tous les malheurs. Il s’agit donc d’un moyen pour les
dictateurs de détourner l’attention des citoyens des préoccupations
essentielles en cristallisant la lutte anti-néocolonialisme. Dès lors,
ils font miroiter l’idéal d’un pays prospère où couleront le lait et le
miel pour tous, en surfant sur un éventuel déluge qui adviendrait après
leur départ. Ainsi, Mugabe prenait périodiquement des décisions
anti-blancs comme la réforme agraire ou la loi sur l’indigénisation, qui
n’arrangeaient pas son peuple mais légitimaient sa présence prolongée
au pouvoir. Une sorte de signal était donc périodiquement lancé pour
rappeler son combat contre le colon blanc.
Souvent en disgrâce auprès de leur
peuple pendant leur mandat pour raison de mauvaise gouvernance, les
dictateurs se réconcilient avec leurs habitudes propagandistes à
l’approche des échéances électorales pour endormir le peuple et
prolonger leur règne. Ainsi, la communication de certains dirigeants se
base essentiellement sur une propagande inspirée des peurs et des envies
des peuples. Le mensonge, la manipulation et l’intimidation sont érigés
en mode de gouvernance. C’est dans cette catégorie que s’inscrit la
communication de Ben Ali qui instrumentalisait la crainte de l’islamisme
radical du peuple tunisien en se présentant comme le dernier rempart et
ainsi perpétuer son règne. Mais dans le genre, Idris Debby Itno
s’illustre aussi par l’image de gendarme du Sahel qu’il s’est construite
en instrumentalisant la peur du terrorisme pour se maintenir au
pouvoir.
Les marqueurs ethniques
Pour d’autres, l’instrumentalisation des
fractures ethniques et tribales est un vecteur puissant de
communication pour diviser et régner. Ainsi, certains dirigeants
prétendent exercer le pouvoir au nom de leur ethnie ou de leur clan. Ils
arrivent donc à se réfugier derrière cet alibi pour galvaniser leurs
partisans contre d’éventuels contestataires leur faisant croire à des
complots sur fonds de rivalités ethniques. Il s’agit d’un moyen de
détourner l’attention des enjeux politiques. Dans ce registre, Sékou
Touré s’illustra en inventant un « complot peul » contre son régime de
parti unique et par conséquent contre le peuple. C’est au nom donc de ce
complot ventilé par les médias qu’il mena une répression sans précédent
contre les ressortissants de l’ethnie Peul majoritairement
intellectuels et influents dans la chefferie, pour éteindre toutes
velléités de contestation. Si les dictateurs mettent un point d’honneur à
peaufiner leur communication, la réception des messages reste la
condition du succès de l’opération. Qu’est-ce qui facilite donc la
réceptivité des peuples ?
Un conditionnement culturel
En Afrique l’autorité est présentée
comme sacrée, souvent innée et d’inspiration divine. A ce titre, même
s’ils sont élus selon un système moderne, les dirigeants grimperaient
dans la hiérarchie de leur clan. Or la conception traditionnelle de
l’autorité confère à celui qui en bénéficie un pouvoir sans partage et
incontestable. Cette conception du pouvoir transmise dans l’éducation
traditionnelle africaine est aux antipodes des principes démocratiques
qui consacrent une séparation des pouvoirs et admet même des
institutions de contre-pouvoir. Le père de famille ou l’autorité
familiale est respecté et vénéré. Ce trait de l’éducation est souvent
extrapolé par les expressions « père de la nation » ou « père de
l’indépendance » utilisées pour installer dans l’inconscient des peuples
l’image d’une autorité paternelle à la tête du pays. Ce rapport
d’inféodation au pouvoir en Afrique est encore observable aujourd’hui
dans la fidélité des armées de la République s’est observé.
L’ignorance des peuples
Dans le camp des aspirants au pouvoir,
le diagnostic est souvent simple. Les tentatives de discussion
s’assimilent à une résignation à négocier avec l’ethnie, ou le groupe
social représenté par le dirigeant au pouvoir. Cette prédisposition à
défendre son clan, son ethnie ou sa région dissout toute prééminence de
l’intérêt général et augmente la réceptivité des peuples aux stratégies
de communication des dictateurs qui savent s’en servir. En effet si
aujourd’hui les Etats existent, c’est le fait de la colonisation et de
l’introduction de modes de gouvernement relativement nouveaux sur le
continent africain et pratiquement inexistants dans certaines contrées
du même continent. Les populations maintenues dans l’ignorance restent
donc étrangères au système, vulnérables à la propagande. C’est
d’ailleurs de cette faille que profitent certains dictateurs pour
orchestrer la désinformation à leur avantage. Abdelaziz Bouteflika
entretient toujours le flou dans les médias sur son état de santé à
travers des vidéos tournées à dessein et des supercheries
audiovisuelles.
Les vecteurs de communication des
dictateurs sont multiples et multiformes et son favorisés par des
prédispositions des populations à y répondre. Il s’avère impératif pour
les peuples africains de s’affranchir des considérations ethniques,
tribales et régionales dans l’arène politique. C’est une condition de
leur quiétude.
Kassim HASSANI, journaliste béninois