
Le 27 juin dernier, la cour d’appel de Paris a réaffirmé
l’interdiction de diffusion d’un épisode de la
série « Despot Housewives », après la plainte de Patience Dabany, ancienne première dame du Gabon. Le réalisateur Joël Soler redoute que cette décision de justice ne soit « une immunité pour tous les salopards de la terre ».
série « Despot Housewives », après la plainte de Patience Dabany, ancienne première dame du Gabon. Le réalisateur Joël Soler redoute que cette décision de justice ne soit « une immunité pour tous les salopards de la terre ».
La cour d’appel de Paris a confirmé en référé, mercredi 27 juin, l’interdiction de diffusion du documentaire Les matriarches, troisième volet de la série Despot Housewives réalisée
par Joël Soler et produite par la société de production Day for Night.
Dans ce film, le réalisateur interviewe notamment Patience Dabany, plus
connue sous le nom de Joséphine Patience Bongo, ex-femme d’Omar et mère
d’Ali, présidents de père en fils de la République du Gabon. Selon la
cour, « la violation délibérée du consentement obtenu et les
circonstances dans lesquelles il a été obtenu prime sur la liberté
d’expression ».
Rappel des faits
C’est l’épilogue d’une affaire débutée le 28 septembre 2017 par la
déprogrammation du film, deux jours avant sa diffusion par Planète+
(chaîne du groupe Canal+), après une mise en demeure et le dépôt d’une
plainte de l’ancienne première dame du Gabon. Le 16 février 2018, le
tribunal de grande instance de Paris (TGI) retenait l’atteinte au droit à
l’image et estimait que celle qu’on appelle « Maman Gabon » avait été « délibérément trompée sur l’objet de l’entretien » et sur le contenu du reportage « présenté
à tort comme portant sur les femmes ayant joué un rôle important dans
la carrière politique, littéraire et même scientifique de leurs enfants,
alors qu’il s’agissait en réalité, depuis le départ, d’exploiter son
image dans le cadre d’une série consacrée aux femmes de dictateurs ».
Des arguments confirmés, donc, par la cour d’appel qui s’est de
nouveau appuyée sur les courriers entre le manager de Patience Dabany,
désormais chanteuse, et la société de production Day for Night. Des
échanges jugés trompeurs sur l’objet de l’entretien et le contexte de
diffusion. Au nom de son droit à l’image, l’ex-première dame a obtenu
gain de cause. A noter toutefois que le dédommagement réclamé de
3 000 euros a été réduit en appel à l’euro symbolique. « Donc, on est condamnés sans être coupables ? Tout est dans le symbole ! » commente Joël Soler, qui confie à Télérama son « immense inquiétude pour l’avenir de la profession ».
Comment interprétez-vous le verdict de la cour d’appel de Paris ?
Je ne l’explique pas. C’est incompréhensible. La cour s’est
uniquement appuyée sur des courriers envoyés six mois avant l’interview,
dans lesquels nous ne mentionnons pas la présence dans cet épisode de
Magda Goebbels et des épouses des dictateurs de Corée du Nord aux côtés
de madame Bongo, mais celle d’autres femmes jugées plus respectables. De
plus, je précise bien dans le film que les personnages n’ont rien à
voir entre eux. La cour d’appel estime qu’il y a tromperie sur le sujet
du reportage et que l’ex-première dame du Gabon pendant plus de trente
ans aurait été abusée par le premier péquenot de service, Joël Soler.
C’est risible !

Elle n’aurait pas pu être dupée ?
Mais vous rigolez. On parle d’un Etat. Il ne faut pas s’y tromper.
Les avocats en face de nous sont ceux de l’Etat du Gabon [le cabinet
KGA, ndlr]. Et quand ils disent qu’ils ne connaissaient pas le sujet du
reportage, ils mentent. Comment peut-on laisser croire que j’ai frappé à
la porte de madame Bongo comme ça et que je lui ai raconté des
salades ? Je suis passé par la voie officielle, le gouvernement. On
parle de la mère du président actuel du Gabon. J’ai obtenu un visa pour
me rendre à Libreville, sur lequel il était indiqué en toutes lettres
que je faisais un film politique. De plus, peut-on réellement faire
croire qu’un gouvernement ne se renseigne pas sur le réalisateur et son
travail avant de donner son accord ? Je ne fais que des documentaires
sur les dictatures [Uncle Saddam, Bin Laden, Dynasty of terror et Despot Housewives,
dont la première saison a été diffusée en 2015, ndlr]. Si on avait
envoyé Stéphane Bern, je peux comprendre qu’elle s’estime trompée, mais
là, il faut arrêter.
Vous êtes surpris par ce verdict ?
Surpris ! Je suis sous le choc. Un régime dictatorial vient de dicter
sa loi. Ce gouvernement qui a fait museler l’information dans son pays
utilise les failles de notre démocratie pour exporter la terreur et nous
faire taire. Franchement, je me demande surtout comment mes collègues
et moi allons travailler.
Vous craignez que cette décision fasse jurisprudence ?
Mais ça va être le cas. Désormais, il va falloir expliquer, prévenir
par écrit les criminels, terroristes et autres dictateurs qu’on veut les
interviewer mais qu’on va porter atteinte à leur image. Si je veux
faire un film sur Bachar el-Assad, il faut que je lui dise à l’avance
que c’est un dictateur. Cette décision de justice est une immunité pour
tous les salopards de la Terre. Désormais, n’importe
quel autocrate va pouvoir rétorquer que son droit à l’image est plus
important que le droit à l’information. Mais comment va-t-on pouvoir
faire des films ? Etre critique ? Tous les prédateurs de la presse vont
pouvoir utiliser cette jurisprudence.

Estimez-vous avoir été isolé dans votre combat, avoir manqué de soutien, notamment du reste de la profession ?
L’Union syndicale de la production audiovisuelle (Uspa) et la Société civile des auteurs multimédia (Scam) nous ont soutenus.
Après, malheureusement, tout le monde est pris dans ses activités et
n’a pas mesuré le danger que cela pouvait représenter. J’ai alerté
plusieurs personnes, mais sans résultat. C’est dommage, car ça va
toucher tout le monde. Mais je peux comprendre que c’était tellement
gros que beaucoup n’y ont pas cru. Moi le premier. C’est peut-être pour
cela que nous n’avons pas été convaincants. Tout le monde était confiant
avant cet appel.
Une diffusion du documentaire, prévendu dans plusieurs pays, expurgée de l’interview de Patience Dabany Bongo est-elle envisageable ?
Je suis réalisateur, pas journaliste. J’ai une démarche artistique,
et toute la série est basée sur un point de vue et des rencontres avec
des femmes qui ont toutes accepté de participer à la série. Je ne veux
pas renier cela. Donc, non.
Envisagez-vous une suite juridique ?
Se pourvoir en cassation ? On se pose la question. C’est encore une
procédure longue et coûteuse tant pour le réalisateur indépendant que je
suis que pour une jeune boîte de production comme Day for Night.
D’autant que, face à nous, c’est un mastodonte avec des moyens
colossaux. On va s’accorder quelques semaines pour réfléchir à la suite à
donner à cette affaire. Personnellement, j’en suis surtout à me
demander si je vais continuer la réalisation. J’ai des projets sur des
régimes difficiles, mais comment faire après une telle décision ?
Source: telerama.fr