Selon notre chroniqueur, la volonté de l’UE de conserver des leviers
d’influence sur le continent
explique en partie que la sortie du
Royaume-Uni ait été reportée.
Chronique. Pourquoi l’Union européenne (UE) et le
Royaume-Uni se sont-ils mis d’accord pour reporter le Brexit jusqu’au
31 octobre au plus tard ? A l’heure où le monde est devenu le théâtre
d’une lutte géopolitique et géo-économique entre les grands blocs, avec
une perte de points progressive de l’Europe, particulièrement en
Afrique, la réponse se trouve en partie sur le continent.
Depuis
le début de ce siècle, en effet, la montée en puissance d’acteurs,
venus d’Asie notamment, ne cesse de remettre en cause la position de
l’UE et de ses pays membres sur l’échiquier africain. Ainsi, dans le
domaine économique, « l’Europe y a perdu la moitié des parts de marché au profit des pays dits “émergents” au cours des 20 dernières années », observent les chercheurs Larabi Jaidi et Ivan Martin dans un rapport intitulé « Le partenariat Afrique-Europe en quête de sens » (mai 2018).
Partie
d’une présence assez modeste, à la huitième place des partenaires
commerciaux de l’Afrique en 2001 (avec 3 % des échanges), la Chine s’est
rapidement hissée au premier rang, pour représenter aujourd’hui 18 % de
parts de marché. Dans le sillage de Pékin, l’Inde est passée du
neuvième au deuxième rang, alors que la position de la France, une des
premières puissances européennes en Afrique, s’est affaiblie. « Ses parts de marché à l’exportation ont été divisées par deux, passant de 11 % en 2000 à 5,5 % en 2017 »,
selon une analyse publiée par la société d’assurance-crédit Coface. Une
perte d’influence de l’Europe qu’un Brexit sans accord n’aurait fait
qu’amplifier.
Dans
le cadre d’un Brexit dur, explique Thierno Seydou Diop, spécialiste des
affaires publiques au sein du cabinet Schuman Associates, « le Royaume-Uni aurait repris l’ensemble de sa souveraineté pour conduire sa propre politique étrangère ». Une souveraineté qui aurait directement amputé Bruxelles de « 15 %
de son effort d’aide au développement, 30 % de sa capacité
diplomatique, 40 % de sa puissance militaire, environ 45 % de sa force
de frappe nucléaire et 50 % de ses droits de véto au Conseil de
sécurité », soulignent Laraibi Jaidi et Ivan Martin dans leur analyse.
Moment d’incertitude
Or
ces multiples leviers aideraient l’Europe à mieux défendre ses intérêts
auprès des pays africains, tant au niveau économique que diplomatique,
face à des acteurs émergents qui ne cessent de multiplier les
initiatives pour accroître leur influence sur le continent. Ainsi, la
Chine et la Russie ont récemment décidé d’étendre leur présence
militaire en Afrique.
Cette nouvelle donne aurait incité
les pays membres de l’UE – du moins ceux qui ont des relations
importantes avec l’Afrique – à assouplir leur position et à se donner
encore du temps pour éviter un départ sans accord du Royaume-Uni. En
effet, certaines capitales européennes comme Londres et Paris « ont
pris conscience que pour continuer d’exister et de peser dans le domaine
géopolitique contemporain à l’échelle internationale, elles devront
partager leur souveraineté », indique Hughes Beaudouin, rédacteur en chef de l’émission télévisée « La Faute à l’Europe ? », sur Franceinfo.
On
l’aura compris, dans un environnement mondial en pleine mutation, une
sortie brutale du Royaume-Uni aurait été hautement préjudiciable à
l’Europe sur la scène internationale. Pas étonnant que cette perspective
ait, entre autres, incité les dirigeants européens à repousser la date
butoir du Brexit de quelques mois. Ce moment d’incertitude sur la forme
que prendra le divorce entre Bruxelles et Londres, les Etats africains
devraient le mettre à profit pour promouvoir leurs intérêts dans le
cadre post-Brexit à venir, à un moment où leurs rapports avec l’UE et le
Royaume-Uni sont en pleine redéfinition.
Szymon Jagiello, journaliste, observe l’actualité africaine depuis Bruxelles.
Par Le Monde