
La tragédie de l’Afrique, c’est la "scandaleuse impunité" qui protège
ses élites, responsables du
pillage systématique des ressources de leurs
pays. L’ancien diplomate mauritanien Ahmedou Ould Abdallah accuse "ces
oligarchies" qui ruinent le continent. Il s’est confié à franceinfo
Afrique.
"La concentration du pouvoir et des richesses aux mains des
élites est un mélange cancérigène devenu de plus en plus une marque dans
nos pays." C’est le constat amer d’Ahmedou Ould Abdallah. L’ancien
chef de la diplomatie mauritanienne sait de quoi il parle. C’est un bon
connaisseur du continent africain qu’il a sillonné pendant plusieurs
années en tant que Secrétaire général adjoint de l’ONU.
"La
corruption est un véritable cancer qui tue sur le continent africain.
C’est vrai qu’il s’agit d’un phénomène international, mais il y a une
énorme différence en Afrique. C’est l’impunité qui protège les élites
corrompues", explique-t-il à franceinfo Afrique.
"Une escroquerie à grande échelle qui discrédite les Etats"
En
plus de sa casquette de diplomate, Ahmedou Ould Abdallah est membre
fondateur de Transparency International. Il siège encore aujourd'hui au
sein de son conseil d’administration. Cette organisation non
gouvernementale a pour vocation principale la lutte contre la corruption
à travers le monde. Tous les rapports publiés ces dernières années font
le même constat : les élites opèrent de véritables hold-up sur les
ressources du pays. Ahmedou Ould Abdallah dénonce une escroquerie à grande échelle qui discrédite et tribalise les Etats.
"Un
petit groupe, un petit clan contrôle l’économie d’un pays et se met
au-dessus de la loi. Ce phénomène d’oligarchie se développe avec
arrogance. Ces oligarchies ruinent nos pays et se drapent dans la
souveraineté nationale pour ne pas rendre compte à leurs propres
populations. Ce fléau explique certains sujets brûlants actuels comme
les guerres civiles et l’immigration", observe Ahmedou Ould
Abdallah. Et il tient à préciser qu’il ne parle pas ici de la corruption
du petit douanier ou du petit policier au coin de la rue, qui n'est que
le résultat de la grande corruption des élites dirigeantes jouissant
d’une scandaleuse impunité.
Pour
s'attaquer à la corruption, il faut une presse libre, une police libre
et une justice indépendante. Aucune de ces trois conditions n'est
remplie en Afrique. La justice est entre les mains d'un groupe
oligarchiqueà franceinfo Afrique

Ainsi, des
dizaines de milliards de dollars s’évaporent chaque année sur le
continent, sans que personne ne lève le petit doigt. "En Europe de
l’Ouest, lorsque les dirigeants sont accusés de corruption, c’est la fin
de leur carrière. Ça provoque immédiatement un scandale et les
responsables se retrouvent derrière les barreaux. La tragédie dans nos
pays, c’est l‘impunité et l’arrogance de ceux qui sont corrompus", se désole l'ancien haut fonctionnaire de l'ONU.
Et
les multinationales dans tout ça ? Ne sont-t-elles pas complices de ce
fléau qui pénalise les populations africaines ? Ahmed Ould Abdallah
balaye l’argument qui veut qu’il n’y a pas de corruption sans
corrupteur. "Mais pourquoi vous l’acceptez ? Pourquoi à Singapour on
ne l’accepte pas ? Pourquoi on le refuse de plus en plus en Malaisie ?
Si quelqu’un vous donne un million de dollars pour sauter du haut de la
tour Eiffel, allez-vous le faire ?", interroge-t-il.
"La corruption justifie le terrorisme et le radicalisme"
Depuis
Nouakchott, en Mauritanie, où il s’est installé, Ahmedou Ould Abdallah
mène ses recherches sur les enjeux globaux de la paix et de la sécurité
en Afrique. Pour lui, la corruption rampante des élites africaines
constitue aujourd’hui la plus grande menace sur la paix et la sécurité
qui justifie le terrorisme et le radicalisme dans la société africaine.
"Il
faut que cessent les pillages arrogants et systématiques de nos pays.
Des contrats distribués en une journée, sans appels d’offres, qui se
concluent par la cession de vastes concessions minières, pétrolières,
agricoles et j’en passe. C’est une véritable tragédie."
La
corruption ne disparaîtra pas d’un coup de baguette magique,
reconnaît-il. C’est un combat de longue haleine, un combat de toute une
vie, auquel tous les citoyens et la société civile africaine doivent
être sensibilisés, explique-t-il à franceinfo Afrique.

