Mentionné par les autorités et les observateurs, le taux appelé "R zéro"
est scruté avec vigilance. Mais
cette donnée, qui peut être biaisée,
est issue d'un calcul aussi complexe qu'incertain. Sans compter qu'elle
n'est pas la seule à être analysée. Explications.
"C'est une situation qui appelle plus de vigilance." Le Premier ministre Jean Castex a estimé, vendredi 17 juillet, sur France 2, que la situation en France n'était pas "grave"
mais qu'elle nécessitait une attention importante. Le chef du
gouvernement a lancé cet avertissement alors que le taux de reproduction
du nouveau coronavirus, le fameux R0, était en hausse dans plusieurs régions, notamment en Bretagne, en Ile-de-France, en Provence-Alpes-Côte-d'Azur et dans les Pays de la Loire.
Egalement
appelé taux de reproduction, ou encore R effectif, il est calculé à
l'échelle régionale. Il correspond au nombre moyen de personnes
infectées par un malade. Un R0 à 2,2, par exemple, signifie que
10 malades vont infecter en moyenne 22 personnes. Lorsque que le R0
passe en dessous de 1, l'épidémie recule. Un R0 est orange lorsqu'il
oscille entre 1 et 1,5 et vire au rouge au-delà de 1,5. Mais Franceinfo
vous explique pourquoi cet indicateur important est à prendre avec
précaution.
Parce qu'il peut être biaisé par la présence de foyers épidémiques
Le
taux de reproduction en Bretagne est de 2,62, en hausse par rapport aux
dernières semaines. Toutefois, la situation dans la région "n'est à ce jour pas alarmante", assure Santé publique France. Si le R0 est l'"un des paramètres importants pour évaluer la dynamique de la transmission du virus", il peut aussi "être influencé artificiellement", remarque l'Agence.
La
survenue d'un cluster dans une entreprise peut conduire à des actions
de dépistage et un afflux de patients dans un service d'urgence ou dans
un laboratoire.à l'AFP
Cette hausse du nombre de tests fait alors "augmenter ponctuellement" le taux, "sans pour autant qu'il y ait une réelle intensification de la circulation du virus", explique Santé publique France.
Ce scénario est observé en Bretagne, où quatre foyers ont été identifiés dans le Finistère et un dans les Côtes-d'Armor. Cela a "induit un plus grand nombre de dépistages et donc" une augmentation du taux de reproduction, explique l'agence. Ce que confirme la directrice de cabinet de l'ARS Bretagne.
Depuis
le 4 mai, nous avions fait environ 80 000 tests, et sur cette période
du 6 au 16 juillet nous en avons fait 20 000, soit un quart. Forcément
cela va se traduire par une augmentation significative des cas
confirmés.à franceinfo
Pascal Crepey, épidémiologiste à l'Ecole des Hautes études en santé publique de Rennes (EHESP), estime également auprès de France 3 Bretagne qu'il ne faut pas s'inquiéter outre mesure. Le taux de reproduction change régulièrement et ce chiffre de 2,62 est "une
estimation très ponctuelle, qui va certainement évoluer dans les jours à
venir avec, peut-être, l'augmentation du nombre de tests".
Parce qu'il reste (très) difficile à calculer
Au-delà
de sa grande variabilité au cours du temps, le R0 est une estimation
issue de calculs aux données incertaines. Cet indicateur est produit "grâce
à des modèles mathématiques complexes, qui tentent de reproduire les
comportements humains de façon plus ou moins simplifiée", expliquaient Les Décodeurs du quotidien Le Monde, en juin dernier.
En
clair, les chercheurs et épidémiologistes doivent renseigner
plusieurs éléments comme la fréquence des contacts humains, la durée de
la contagion ou encore la part de malades asymptomatiques. Mais "bon
nombre des paramètres ne sont que des suppositions ; les vraies valeurs
sont souvent inconnues ou difficiles, voire impossibles, à mesurer
directement", a écrit, en janvier 2019, dans la revue scientifique Emerging Infectious Diseases (en anglais) Paul Delamater, géographe spécialiste des questions de santé publique à l'université de Caroline du Nord.
A ce sujet, la professeure Astrid Vabret, cheffe de service de virologie au CHU de Caen, parlait même, en janvier, d'un "indicateur grossier".
Parce qu'il n'est pas toujours pertinent
Selon
les données publiées par Santé publique France, vendredi, le R0 s'élève
à 2,26 à La Réunion. Mais la préfecture estime qu'il est "non significatif", rapporte Réunion La 1ère. "Le
R0 ne se calcule en effet pas à partir de cas importés, et le nombre de
cas autochtones actuellement détectés à La Réunion ne permet pas
d'avoir une donnée fiable sur ce sujet au vu de la petite taille de
l'échantillon. Cet indicateur, dans son calcul actuel, n'est donc pas
significatif dans notre contexte insulaire", a expliqué la préfecture.
"Notre
R0 ne peut pas se calculer comme celui de la métropole. On est sur une
situation d'importation, et non pas sur une situation de circulation",
a estimé le docteur François Chieze, directeur de la veille et sécurité
sanitaire à l'ARS océan Indien. Sur 612 cas recensés sur l'île depuis
le 11 mars, "434 sont des cas importés et concernent donc des personnes ayant contracté la maladie en dehors du territoire", a-t-il précisé.
Parce qu'il n'est pas le seul indicateur à suivre
Outre le R0, les autorités surveillent trois indicateurs pour suivre l'épidémie, comme l'explique le ministère de la Santé.
Le taux d'incidence. Il
correspond au nombre de personnes infectées sur une semaine et sur une
population de 100 000 habitants. Le ministère de la Santé a arrêté trois
niveaux : le seuil de vigilance est atteint si plus de 10 personnes
sont infectées pour 100 000 habitants. Au-dessus de 50 personnes
infectées pour 100 000 habitants, le seuil d'alerte est atteint.
Le taux de positivité des tests virologiques. Il est
calculé à partir des résultats des tests PCR et donne une idée du
nombre de personnes testées positives sur une semaine. Il est calculé à
l'échelle départementale. A partir de 5% de taux de positivité,
l'indicateur passe du vert à l'orange. A partir de 10%, il passe au
rouge. "Plus le taux est bas, plus nous testons des personnes qui ne sont pas malades", avait expliqué le ministre de la Santé, Olivier Véran, en mai. Il s'agit, selon lui, d'un paramètre important car il permet de "détecter précocement des signes de reprise de l'épidémie" dans des territoires.
La tension hospitalière sur la capacité en réanimation. Cet
indicateur, calculé à l'échelle régionale, donne le taux d'occupation
des lits en réanimation par des malades du Covid-19. L'indicateur est
vert entre 0% et 40%, orange entre 40% et 60% et rouge au-delà.
Ces
indicateurs ont été mentionnés, par exemple, jeudi matin, lors de la
conférence de presse de Jean-Jacques Coiplet, le directeur général de
l'ARS Pays-de-la-Loire sur la dégradation de la situation sanitaire en Mayenne.