
Si quelques établissements ont fermé, de nombreuses maisons closes restent ouvertes au plus grand péril des clients et des professionnelles.
À la Jonquera, cette ville-frontière avec la France réputée pour ses macro-bordels, le Paradise obéit aux injonctions de la lutte contre le coronavirus. Avec ses enseignes lumineuses en forme de palmiers, le plus grand lieu de prostitution en Europe
– 2 700 mètres carrés – a mis au chômage technique ses 69 salariés. Ce
n'est pas le cas des quelque 90 femmes qui y travaillent habituellement
comme prostituées qui, n'ayant aucune relation contractuelle avec
l'entreprise, se retrouvent donc carrément à la rue, sans protection
aucune. La chaîne privée Antena 3 a enquêté sur ce que sont devenues ces
femmes de toutes nationalités, Roumaines, Colombiennes, Nigérianes…
On
y apprend qu'une minorité est parvenue à revenir dans son pays
d'origine, les autres continuant à se confiner et à exercer, dans des
appartements de connaissances, dans des garages, des hangars… « C'est le
plus grand désarroi pour elles, pas seulement pour les filles qui
travaillaient dans les bordels de la Jonquera, mais dans toutes les
maisons closes et les clubs du pays », souligne Rocio Nieto, de
l'Apramp, l'Association pour la prévention, la réinsertion et
l'attention aux femmes prostituées. « Un bon nombre sont aussi
totalement abandonnées à leur sort, encore plus à la merci de leurs
proxénètes et des mafias, parfois carrément esclavisées ».
Le Covid 19 n'a pas stoppé la prostitution, mais l'a rendue davantage clandestine encore.
Depuis qu'à la mi-mars l'état d'urgence a été décrété en Espagne, et que le pays est désormais le pays le plus touché en Europe avec l'Italie,
les prostituées sont parmi les principales victimes invisibles de la
pandémie. À en croire les médias qui ont enquêté sur le phénomène, de
nombreuses maisons closes – sur les 1 600 que compterait le pays –
fonctionnent encore, au plus grand péril des clients et des
professionnelles. Que deviennent les autres ? « Celles qui restent en
Espagne et qui font partie des 80 % victimes de la traite, elles sont
obligées de continuer à travailler car dénuées de toute ressource »,
poursuit Rocio Nieto. D'après l'Apramp, qui s'est renseignée auprès
de 122 appartements, 36 « clubs » de route et 13 polygones tels que la
Colonia Marconi, à Madrid, un autre haut lieu de la prostitution en
Europe, les trois quarts de ces endroits demeurent ouverts, quoiqu'au
ralenti. « Le Covid 19 n'a pas stoppé la prostitution, mais l'a rendue
davantage clandestine encore », assure-t-on à l'Apramp.
En
Espagne, cette pratique est légale, même si le nouveau gouvernement de
gauche parle de pénaliser les clients. Le phénomène est ici très
important, même s'il n'existe pas de chiffres officiels quant au nombre
de « professionnelles » – entre 100 000 et 200 000, selon le journal El Español. À en croire l'ONU, l'Espagne est le pays du monde avec la plus forte demande en Europe – le 3e du monde, derrière la Thaïlande
et Puerto Rico – et 39 % des Espagnols reconnaissent avoir au moins une
fois fréquenté les maisons closes ou les « clubs » de route. Conscient
que ce collectif semi-clandestin subit de plein fouet la pandémie dans
la plus totale invisibilité et la précarité, Médecins du monde a
développé une application sur les téléphones mobiles, Iris, qui permet
aux prostituées d'obtenir des renseignements quant aux aides
associatives existant pour les soins de santé, de la nourriture ou des
logements.
Par François Musseau à Madrid
Le Point.fr