
Née en 1960, Zindziswa Mandela, la fille cadette de Nelson et Winnie
Mandela, est décédée à 59 ans
à Johannesburg ce lundi 13 juillet,
emportée par la maladie deux ans après la disparition de sa mère, dont
elle a été très proche tout au long de sa vie.
À la naissance de sa fille cadette, le 23 décembre 1960, Nelson
Mandela a des doutes sur sa paternité, puisqu’il était inculpé cette
année-là à Pretoria et n’a guère vu sa femme, Winnie. Ses questions
s’évanouissent à la vue du bébé, qu’il décide d’appeler Zindziswa, « comme la fille du poète xhosa Samuel Mqhayi », écrit-il dans ses mémoires, Long chemin vers la liberté.
« Le
poète était revenu chez lui après un long voyage et il avait découvert
que sa femme avait donné naissance à une petite fille. Il ne savait pas
qu’elle était enceinte et il avait cru que l’enfant avait un autre père.
Dans notre culture, quand une femme donne naissance à un enfant, le
mari n’entre pas dans la maison où elle est enfermée pendant dix jours.
Mais le poète, trop furieux pour observer cette coutume, se précipita
dans la maison avec une sagaie, prêt à en transpercer la mère et la
fille. Mais, quand il regarda la petite fille et qu’il vit qu’elle lui
ressemblait comme deux gouttes d’eau, il s’en alla en disant "U
zindzinle", ce qui signifie "Tu es bien établi" en isixhosa. Il l’appela
Zindziswa, la version féminine de ce qu’il avait dit. »
Toute
l’enfance de la petite fille sera marquée par la traque incessante
livrée par le régime de l’apartheid à ses parents. Elle n’a que quatre
mois lorsque son père entre en clandestinité, en mars 1961, pour
organiser le passage du Congrès national africain (ANC) à la lutte
armée. Lorsque sa mère l’inscrit à la maternelle, dans une école pour
enfants métisses située près de son travail, elle en est expulsée à 6
ans, lorsque son identité est repérée par la police. La même année, elle
est envoyée avec sa soeur Zenani, son aînée d’un an, dans le très
sévère internat Convent of Our Lady of Sorrows, au Swaziland, petit
royaume voisin épargné par l’apartheid. Avec l’aide d’amis, dont Helen
Joseph, les deux soeurs changent d’école pour l’internat chic et cher de
Waterford, toujours au Swaziland.
Parents traqués par la police
En
mai 1969, lorsque les filles sont en vacances chez leur mère à Soweto,
Winnie est arrêtée sous leurs yeux, dans la nuit, pour
« terrorisme ». Trois ans plus tard, lorsque la police enfonce de
nouveau la porte de leur maison de briques rouges, la famille est
terrorisée par une tentative de meurtre à l’encontre de Winnie – les
cris des enfants faisant fuir trois policiers prêts à étrangler la femme
de Mandela avec une corde.
À 12 ans, Zindzi en appelle par
courrier au secrétaire général des Nations unies et au Comité
international de la Croix-Rouge pour la protection de sa mère. Les deux
organisations interviennent effectivement auprès du gouvernement
sud-africain. Il n’empêche : en 1974, lorsqu’un ami l’emmène avec sa
soeur déjeuner en ville avec sa mère, qui travaille, Winnie est arrêtée
et condamnée à six mois de prison ferme, pour avoir enfreint un « ordre
de proscription » qui ne lui permet de voir ses enfants que chez elle.
Ses filles sont autorisées à lui rendre visite le dimanche en prison.
Adolescente,
Zindzi apprend le piano et la guitare à Waterford et se met à écrire
des poèmes et des chansons. Ses parents trichent sur sa date de
naissance pour l’emmener avant l’âge autorisé – 16 ans – rendre visite à
Nelson en prison. En décembre 1975, la famille Mandela se retrouve
réunie pour la première fois depuis 1963 à Robben Island. Le gardien de
prison de Nelson Mandela, James Gregory, l’a relaté dans ses mémoires :
« Il ne l’a pas vue pendant douze ans ! Dans les heures qui
précèdent cette rencontre, Nelson est incroyablement nerveux. Alors
qu’il sait parfaitement se contrôler dans les situations les plus dures,
je le vois s’agiter, s’énerver pour un rien, préparer sa meilleure
chemise, soigner ses cheveux. Quelques minutes avant leur entrée dans la
cabine du parloir, il me demande vingt fois si Zindzi est vraiment là.
Non sans raison : depuis plus d’un an, la police s’est ingéniée à
empêcher les visites de Winnie. Il serait tout à fait possible qu’ils
aient trouvé une argutie quelconque pour annuler celle-ci au dernier
moment. »
Winnie le racontera en des termes très différents à l’une de ses biographes, Mary Benjamin : « Une
des choses qu’il aime le plus, c’est la visite de ses enfants. Il ne
les a pas élevés, il a fallu les lui présenter – une des expériences les
plus traumatisantes pour nous tous. Il n’est pas facile pour une mère
de dire : "Regarde, ton père est en prison pour la vie". Il
n’est pas facile pour un enfant de voir ce père dans ces conditions,
dans cet environnement, un père dont il a tant entendu parler. Du point
de vue psychologique, c’est fichtrement risqué. On ne sait jamais quelle
sera la réaction de l’enfant : ou bien il s’effondre, ou bien il s’en sort solide comme un roc et fier de le voir, son père. »
Zindzi racontera à la même biographe : « J’étais un peu angoissée, je me disais : "Mon
Dieu, ça va être mon père. Qu’est-ce que je vais pouvoir lui dire ?
Sera-t-il fier de moi ? Est-ce que je répondrai à son attente ?" Mais il est si chaleureux, si plein de tact. Il a dit : "Oh, je te revois à la maison, un bébé sur mes genoux !", et
j’ai tout de suite oublié l’environnement et nous nous sommes mis à
rêver et à rêver, et je me suis sentie tellement libre. Et il a ce
formidable sens de l’humour, alors tout s’est très bien passé. »
Tout
au long de son enfance, Zindziswa reçoit des lettres de son père, en
prison. Celui-ci lui fait des confidences sur le caractère bien trempé
de sa mère, Winnie, lorsqu’il lui écrit en 1977 : « Un samedi
après-midi après une heure et à peu près un mois avant notre mariage, ta
mère vint me chercher au bureau avec des amies et elle me trouva en
train d’attendre la secrétaire d’un homme d’Etat étranger avec qui
j’avais un rendez-vous. Comme Maman, elle était d’une beauté
dévastatrice et avait à peu près le même âge qu’elle. Maman se montra
tout de suite extraordinairement hostile bien qu’elles ne se fussent
jamais rencontrées. A l’époque, j’étais au sommet de ma forme et je
faisais régulièrement de la gymnastique. Malgré tout cela, et devant
tout le monde, elle me saisit par la peau du cou et m’entraîna dehors.
Je n’ai jamais revu cette femme. »
En exil intérieur avec sa mère à Brandford
La
vie de Zindzi Mandela prend un tournant aussi majeur qu’imprévu un an
après les émeutes écolières du 16 juin 1976 à Soweto, dont sa mère est
accusée à tort d’avoir été l’instigatrice. Lorsque Winnie est cueillie
par la police, une nuit de 1977, Zindzi se trouve avec elle, en
vacances. Cette arrestation n’est pas habituelle : « À dix heures du
matin, on a amené Zindzi dans la cellule où j’étais enfermée avec des
types armés de pied en cap. Elle avait à la main les clefs de la maison
et j’ai commencé à me rendre compte de la situation », témoignera Winnie.
Zindzi
a le choix entre rester dans une maison vide jusqu’à son retour à
Waterford, son école au Swaziland, ou partir avec sa mère. Elle choisit
la seconde option, sans se douter des conséquences pour son avenir. Les
deux femmes sont embarquées dans un camion de l’armée avec toutes leurs
affaires, qui ne rentrent pas dans la bicoque de trois pièces, jonchée
de detritus, du township isolé de Brandford, à plus de 300 km au sud de
Johannesburg.
« C’était horrible, raconte Winnie. Pour
Zindzi, c’était une expérience traumatisante. Plus d’un homme aurait
été brisé. C’était d’ailleurs le but recherché. Dans les premières
années de notre exil, Zindzi voulait s’en aller et ne comprenait pas
pourquoi je ne la laissais pas partir. J’avais physiquement besoin
d’elle. Elle est la plus jeune de mes enfants. J’ai tout donné à la
cause – sans regrets, bien sûr – mais en même temps on a la nostalgie
d’une appartenance, d’un foyer. Etre au service d’une cause n’exclut pas
qu’on aspire à une vie de famille. Je ne pouvais littéralement pas la
lâcher, m’accrochant peut-être à un dernier semblant d’unité familiale.
Au fond d’elle-même, elle se sentait écartelée : pouvait-elle rester
dans le backveld de l’Etat libre d’Orange, dans ce genre d’insécurité et
de danger – avec notre maison verrouillée à Johannesburg ? Et
il y avait aussi son père en prison. Cette crise, elle l’a surmontée.
La chose qu’elle a toujours voulu faire, c’est le droit. Etant donné le
genre d’enfant qu’elle est, je pense que pour elle, c’est la meilleure
profession. Sans aucun doute elle sera avocate politique. »
Un
an plus tard, en 1978, Zindzi publie un premier recueil de poèmes qui
lui vaut un prix aux Etats-Unis, mais elle ne reprendra plus le chemin
de l’école. Elle tombe enceinte très jeune et donne naissance à une
fille, Zoleka, puis un garcon, qu’elle nomme Gaddafi, en hommage au
colonel libyen qui est l’ami de son père.
En 1985, elle vient de
subir des violences conjugales qui lui ont laissé des points de suture
sur la tête et un nouveau traumatisme. Pour la consoler, son père lui
demande de prendre la parole devant un stade comble à Soweto, pour lire
la réponse qu’il adresse à une proposition de libération du régime
raciste, s’il renonce à faire de la politique. De sa voix douce, elle
lit le document historique : « Mon père dit : Je n’aime pas moins la
vie que vous. Mais je ne vais pas marchander mon droit à vivre en paix
dans un pays libre. Seuls les hommes libres peuvent négocier. Votre
liberté et la mienne ne peuvent être séparées. Je reviendrai. » Un
long silence précède le chant, entonné comme un seul homme par la foule,
de ce qui sera l’hymne national de la nouvelle Afrique du Sud : Nkosi
sikelel’I Afrika (Dieu bénisse l’Afrique). L’impact est immense, et
relance la campagne pour sa libération.
Camarade de route et assistante personnelle de sa mère
Malheureusement,
ce n’est pas la stature de son père qui va la propulser sur le devant
de la scène, mais plutôt les errements de sa mère, dans les coulisses de
la milice qu’elle forme autour d’elle à son retour à Soweto, en 1986,
sous couvert d’un club de football. La police retrouvera en 1987 une
mitraillette dans la chambre de Zindzi. Son petit ami, Siswe Sithole,
est inculpé en 1989 pour avoir tué un membre du club de football
soupçonné d’avoir parlé à la police. Lui-même meurt en garde à vue à la
prison de John Vorster Square, le 3 février 1990. Une commission
d’enquête conclut au suicide. Zindzi apprendra la libération imminente
de son père, le 11 février, à l’enterrement de Siswe Sithole, père de
son troisième enfant, Bambatha, un garçon né en juin 1989.
La
suite est plus connue. Zindzi se marie en octobre 1992 avec un homme
d’affaires, Zweli Hlongwane, avec lequel elle va reprendre quelques
années un restaurant en face du Market Theater, à Johannesburg. Winnie
organise un banquet de marriage au Carlton Hotel, auquel se rend un
Mandela tendu, qui ignore Winnie. Dans son discours, il affirme que tous
les combattants de la libération ont payé un lourd tribut, sur le plan
personnel, leur vie privée et celle de leur famille étant totalement
déstabilisées. Il se demande ouvertement si le jeu en vaut bien la
chandelle.
Le divorce de ses parents ne sera prononcé qu’en 1996,
mais la tension est palpable. En mai 1994, lorsque Nelson Mandela prête
serment, en tant que premier président noir d’un pays enfin libre,
c’est Zenani qui se trouve à ses côtés, jouant le rôle d’une Première
dame. Winnie, élue au Parlement, n’est pas invitée sur le podium, ni
dans les rangs des VIP… Elle se trouve dans la foule avec Zindzi, qui
accompagnera son père lors de son premier voyage officiel aux
Etats-Unis, en octobre 1994.
Lorsque Winnie se retrouve en 2001
au centre d’un scandale portant sur 1 million de rands, des prêts
qu’elle a permis à des employées fictives de la Ligue des femmes de
l’ANC de contracter, le nom de sa propre fille Zindzi figure parmi les
bénéficiaires. Sa cadette, tombée malade au tournant des années 2000, a
vu son corps et ses traits changés par la cortisone. Elle n’a cessé de
jouer un rôle d’assistante personnelle de sa mère, les deux décennies
prédédant sa mort, en avril 2018, protégeant de la presse et la
défendant bec et ongle. Jusqu’à participer à la production d’un
documentaire « autorisé » sur Winnie mais controversé en Afrique du Sud
pour ses nombreuses inexactitudes. Dans ce film de la réalisatrice
française Pascale Lamche, elle présente sa mère comme une victime de l’ANC et de son ex-mari – contribuant à ébrécher le mythe autour de feu Nelson Mandela.
Par RFI