
À la tête des manifestants maliens, qui réclament depuis début juin la
démission du président Ibrahim
Boubacar Keïta, se trouve un homme à
l'influence croissante : Mahmoud Dicko. Ancien allié d'IBK, cet imam
rigoriste a su jouer un rôle clef dans la crise sécuritaire au Mali, en
parvenant à faire office d'intermédiaire auprès des jihadistes.
Les protestations ont repris au Mali
pour réclamer le départ du président Ibrahim Boubacar Keïta, surnommé
IBK. Pour la troisième fois, il étaient plusieurs milliers de
manifestants, vendredi 11 juillet, à Bamako, à répondre à l'appel du "Mouvement du 5 juin — Rassemblement des Forces Patriotiques" (M5-RFP), nommé d'après la première date de mobilisation.
À
la tête du M5-RFP, coalition hétéroclite rassemblant aussi bien des
politiques, des militants anticorruption, des personnalités issues de la
société civile et des religieux, on retrouve Mahmoud Dicko, un imam rigoriste.
Cet ancien allié d'IBK est désormais l'un des plus fervents
critiques du président, jugé par les manifestants comme responsable du
recul de la croissance économique et de la persistance de l’insécurité, face aux attaques de jihadistes, notamment.
"Tout
le monde est opposé ! Des problèmes communautaires, des problèmes dans
l’armée, même entre les religieux... (des) problèmes entre tout le
monde… Il y a un malaise dans le pays, il y a une mauvaise gouvernance.
Il y a une corruption à ciel ouvert. Je le dis et je le redis !",
diagnostiquait-il dans une interview à RFI en juin.
Président du Haut conseil islamique malien
À
66 ans, Mahmoud Dicko, issu d’une famille de notables de
Tombouctou, est une figure familière des Maliens. De janvier 2008 à
avril 2019, il préside le Haut conseil islamique (HCI)., un poste
d'influence dans un pays à 95 % musulman. Si la majorité de la
population est composée de sunnites malékites, Mahmoud Dicko incarne un
courant rigoriste, inspiré du wahhabisme saoudien.
Ce père d’une dizaine d’enfants, nés de ses deux femmes, s'est notamment fait un nom en s'opposant en 2009 à l'adoption d'un nouveau code de la famille
censé notamment moderniser les usages matrimoniaux, familiaux et
successoraux au Mali. Il contraint alors le gouvernement à adopter un
texte beaucoup moins ambitieux que prévu, notamment sur les droits des
femmes. Plus récemment, il a aussi fait censurer un manuel scolaire d'éducation sexuelle qui abordait l'homosexualité.
Du soutien à la défiance envers IBK
Cependant,
Mahmoud Dicko n'est pas systématiquement dans l'opposition. En 2013,
il compte parmi les soutiens à IBK lors de la présidentielle de 2013. Il
sera même de quelques voyages présidentiels, notamment dans les pays du
Golfe dont il est fin connaisseur, grâce à sa formation dans les écoles
coraniques d’Arabie saoudite.
Cet
érudit s'impose également comme un intermédiaire privilégié avec les
jihadistes. Sa connaissance de l’islam et son rigorisme religieux lui
conférant un certain crédit auprès d’eux, tandis qu’il jouit d'une
relative confiance de la part des élites maliennes. Dans la crise
sécuritaire malienne, il est le chantre d'un dialogue avec les
rebelles.
En avril 2019, il obtient le renvoi du Premier ministre,
Soumeylou Boubèye Maïga, en organisant des grandes manifestations. Ce
partisan d'une ligne dure et jugé responsable de l’aggravation de la
crise sécuritaire au centre du Mali.
Un glissement du religieux dans le politique
L’imam
à la barbichette blanche crée son mouvement, la Coordination des
mouvements, associations et sympathisants (CMAS), en septembre 2019.
Depuis, Mahmoud Dicko est devenu un critique vigoureux du pouvoir
d'autant qu'il jouit d'une large assise populaire au Mali. Avec le
lancement du CMAS, beaucoup lui ont prêté des intentions politiques, ce dont il se défend.
Le
charismatique prêcheur a su fédérer la contestation contre IBK en
canalisant l'exaspération nourrie depuis des mois par la mort de
milliers de personnes tuées ces dernières années dans les attaques
jihadistes et les violences intercommunautaires, le ressenti de
l'impuissance de l'État, le marasme économique, la crise des services
publics et de l'école et la perception d'une corruption
répandue. Cependant, selon l'imam, la Cmas n'est pas un parti, mais un
mouvement qui a pour "idéaux" des visions religieuses, sociétales et
politiques.
"Beaucoup d’opposants qui
n’auraient eu aucune chance d’accéder au pouvoir ont décidé de s’appuyer
sur l’imam et ses milliers de fidèles, lui conférant un grand pouvoir
politique", analyse le chercheur Aly Tounkara, dans Le Monde.
Toutefois,
pour le sociologue Bréma Ely Dicko interrogé par l'AFP en juin, les
intentions ultimes de l'imam Mahmoud Dicko suscitent l'interrogation. Le
chercheur rappelle que ce chef religieux fait partie de ces
personnalités, aujourd'hui dans la protestation, qui ont porté IBK au
pouvoir en 2013. L'imam s'estimerait mal payé. Il aurait mal digéré
qu'on lui ait retiré son rôle de bons offices auprès des jihadistes. Son
mentor, le Chérif de Nioro, autre religieux éminent, se jugerait lui
aussi maltraité. "Les deux ont été frustrés, et le régime qu'ils ont
aidé est devenu le régime à combattre", analyse Bréma Ely Dicko.
Par France 24