La capitale burkinabè retient son souffle à quelques heures de
l'arrivée du président français.
Première étape de sa tournée africaine,
Ouagadougou se prépare à accueillir le président français sur fond de
polémiques.
La capitale burkinabè retient son souffle à quelques
heures de l’arrivée du président français, prévue à 22h GMT, ce lundi
soir. Appels à manifester contre appel au calme du gouvernement,
fermeture des écoles, principales artères parées du drapeau des deux
pays… Jamais une visite d’un chef d’État n’a suscité autant de débats.
« Le gouvernement veut la continuité avec la France alors que certains
acteurs de la société civile burkinabè prône un changement radical dans
les relations franco-africaines », résume le politologue et enseignant à
l’université de Ouagadougou, Abdoul Karim Saidou.
Le CFA en débat
Au cœur de cette politique de rupture prônée par la société civile, il y a la question du franc CFA.
La monnaie commune à quatorze ex-colonies françaises d’Afrique de
l’ouest et du centre fait l’objet de vifs débats en raison de la fixité
de la parité entre le FCFA et l’euro. Ses détracteurs dénoncent
également la convertibilité libre et illimitée entre les deux monnaies.
Des caractéristiques qui donnent droit, en cas d’épuisement de réserves
de change, à un découvert « illimité » autorisé sur le compte du pays
concerné auprès du Trésor public français.
Nous aimerions que la France cesse son soutien aux dictateurs africains
Pour sa part, le porte-parole du Balai citoyen, l’artiste
Serge Bambara – alias Smockey – dénonce une « polémique inutile » autour
de la visite de Macron au Burkina. « Certaines visites, comme celle du
président ivoirien Alassane Ouattara, auraient dû susciter plus de tollé
parce qu’il [Ouattara, NDLR] est de plus en plus suspecté d’avoir soutenu le putsch raté de mi-septembre 2015« , fustige-t-il.
« Nous aimerions que la France cesse son soutien aux
dictateurs africains. Pour le reste, il appartient au président du Faso
de jouer sa partition », observe cependant Smockey.
Autre sujet qui fâche : l’assassinat de Sankara
L’arrivée du président français fait couler beaucoup
d’encre, et les sujets sur lesquels il est interpellé avant même sa
descente d’avion sont nombreux. Plusieurs organisations de la société
civiles burkinabè ont appelé à manifester « contre le pillage des
ressources naturelles par les multinationales impérialistes », notamment
françaises. Autre critique qui revient dans les tracts et appels de la
société civile : la présence militaire française dans le pays, qui
accueille une force spéciale d’environ 150 hommes.
Ces organisations réclament également des actes forts de
Paris en vue d’élucider le rôle présumé de l’ex-puissance coloniale dans l’assassinat du président Thomas Sankara en octobre 1987.
La justice militaire burkinabè, qui a enquête sur les
circonstances de la mort du père de la révolution d’août 1983, demande
la levée du secret défense pour accéder à certaines archives françaises.
L’objectif est d’étayer les liens supposés de certaines personnes – résidentes en France – avec les auteurs du coup d’État
du 15 octobre 1987. « Je pense qu’il y a un conflit d’intérêt entre la
France et le Burkina sur cette question », estime Abdoul Karim Saidou.
« Beaucoup de jeunes africains aspirent à une rupture dans
la politique étrangère de leur pays. Ils réclament un vrai débat sur la
question du franc CFA, et sur la présence militaire française en
Afrique », explique l’universitaire, Abdoul Karim Saidou, qui estime que
les Burkinabè attendent un « acte fort » concernant le cas François
Compaoré. Le frère cadet de l’ancien président Blaise Compaoré en exil
depuis sa chute en octobre 2014 est poursuivi par la justice burkinabè
pour son rôle supposé dans l’assassinat du célèbre journaliste
d’investigation, Norbert Zongo en décembre 1998.
Appels à manifester et fermeture des écoles
Attendu ce lundi dans la nuit à Ouagadougou, Macron va
prononcer son discours de politique africaine devant quelques 800
étudiants, mardi sur le campus de Zogona. Et comme Nicolas Sarkozy, qui
livrait il y a dix ans à Dakar un discours ayant déclenché une vague de critiques, Emmanuel Macron vient s’adresser « à l’Afrique ».
« Macron est un président jeune qui veut s’adresser à la
jeunesse africaine. Quoi de plus pertinent que de venir au Burkina où
les jeunes ont pris leurs responsabilités avec l’insurrection populaire
d’octobre 2014 ? », salue Abdoul Karim Saidou. Pour le politologue,
cette visite est également une « victoire symbolique » de la diplomatie
burkinabè.
Nous espérons un réel changement après ce discours. Nous attendons ce qu’il va nous dire…
Mais au Burkina Faso, Emmanuel Macron ne foulera pas le sol
d’un pays en « chasse gardée ». Il devra prêter une oreille attentive à
la fronde lancée par les syndicats et la société civile appelant à
manifester contre le « diktat français » en Afrique. A l’université où
le président français doit prononcer son discours, l’Union générale des
étudiants burkinabè, principal syndicat des étudiants, appelle à se
mobiliser.
Face à la fronde annoncée, l’exécutif a lancé plusieurs
appels au calme. Et pour prévenir tout risque de débordements, le
gouvernement a même décidé de fermer les établissements scolaires de la
capitale. Il s’agit, selon l’explication officielle délivrée par les
autorités, de « faciliter la circulation ».
Naré Frank, un étudiant du campus où doit s’exprimer le
président français, résume pour Jeune Afrique l’atmosphère qui règne :
« C’est une bonne chose que Macron s’adresse à la jeunesse africaine
depuis Ouaga. Nous espérons un réel changement après ce discours, car
beaucoup de jeunes diplômés sont au chômage. Nous attendons ce qu’il va
nous dire… »
Source: Jeune Afrique