Alors que les Algériens ont commencé à descendre dans les rues pour
un quatrième vendredi
d’affilée, le pouvoir s’efforçait ces derniers
jours de déminer le terrain. Deux jours durant, mercredi et jeudi, les
deux nouveaux chefs du gouvernement, Noureddine Bedoui (premier
ministre) et Ramtane Lamamra (vice-premier ministre), se sont employés à
vendre la feuille de route proposée le lundi 11 mars par une lettre
signée du président Abdelaziz Bouteflika.
Pour le
régime, il y a urgence. Après les étudiants et les enseignants, mardi et
mercredi, les professions médicales, les avocats et les magistrats
manifestaient jeudi dans plusieurs villes pour exiger le « départ
immédiat » d’Abdelaziz Bouteflika. Dans la capitale, un cortège de
personnes à mobilité réduite s’est même invité sur le front de mer à
l’occasion de la Journée nationale du handicap, scandant des slogans
hostiles au président.
Sur le fond, rien ne change. Le décret annulant le scrutin présidentiel d’avril a été publié jeudi au Journal officiel sans aucune référence constitutionnelle. Noureddine Bedoui a annoncé le même jour la composition future d’un gouvernement « jeune », « formé de technocrates » chargés d’assurer la transition jusqu’à l’écriture d’une nouvelle Constitution et la convocation d’« élections libres et démocratiques ». Et fait la promesse de l’« avènement d’une seconde République » « d’ici à la fin de l’année ».
« Aucunement la solution »
Ces propositions ont été rejetées en bloc par l’opposition qui cherche à peser sur les événements. « Le
pouvoir en place ne peut plus continuer à travailler en dehors de tout
cadre constitutionnel et contre la volonté du peuple. Il n’est pas
habilité à diriger la période de transition. Pis, son maintien en tant
qu’autorité de fait constitue un danger pour la stabilité et la sécurité
du pays », ont averti mercredi, dans un communiqué commun, les principaux
partis islamistes – MSP (tendance Frères musulmans) et El-Adala –, le
mouvement de l’ancien premier ministre Ali Benflis et des personnalités
comme l’ancien ministre de la communication, Abdelaziz Rahabi, ou
l’avocat et défenseur des droits de l’Homme Mustapha Bouchachi.
La
nomination du ministre de l’intérieur sortant Noureddine Bedoui au
poste de chef du gouvernement et de l’ancien ministre des affaires
étrangères Ramtane Lamamra à un poste de vice-premier ministre
nouvellement créé renforcent aux yeux des opposants l’image d’un pouvoir
qui chercherait avant tout à gagner du temps pour se maintenir.
« Bedoui
et Lamamra sont deux figures importantes du régime qui ne représentent
aucunement la solution au problème posé par les Algériens qui souhaitent
un changement de régime », déclarait jeudi au Monde
Soufiane Djilali, le président de Jil Jadid (« Nouvelle génération »),
très actif dans le mouvement Mouwatana (« Citoyenneté »), qui regroupe
des organisations politiques et des membres de la société civile opposés
au cinquième mandat.
« C’est un subterfuge. Une concession qui ne vise qu’à perdurer et à gérer l’après-mandat que les Algériens rejettent et [à] se
maintenir au pouvoir d’un pays qu’ils ont dénudé de toute forme
juridique. Cette “transition” ne s’appuie sur aucun élément
constitutionnel », accuse M. Djilali, pour qui Abdelaziz Bouteflika « se
pense comme un souverain. Il s’est mis lui-même dans l’illégalité. Le
28 avril, il ne pourra plus se targuer d’être président, il n’aura plus
aucune légitimité. Pas même celle, entachée d’irrégularités, de la
précédente présidentielle ».
« Manière calme »
Un
maintien du président Bouteflika à son poste au-delà de cette date
butoir, qui marque le terme officiel du quatrième mandat, paraît en
effet difficilement justifiable sur le plan légal. Noureddine Bedoui et
Ramtane Lamamra ont, eux, balayé la question de l’illégalité avec une
pirouette : le président n’aurait fait que « répondre à la volonté du peuple ».
La
tête bicéphale de l’exécutif feint ainsi d’ignorer la principale
revendication de la rue – le départ de M. Bouteflika –, alors que les
Algériens mobilisés cette semaine remettent désormais en cause
l’ensemble de la classe politique issue du régime. « Il faut sortir de cette crise de manière calme et en veillant à la stabilité du pays », espère pourtant Noureddine Bedoui.
Il n’est pas certain qu’il soit entendu. A la veille de la manifestation de vendredi, le traditionnel slogan « non au cinquième mandat » a cédé la place à un nouveau cri de ralliement sur les réseaux sociaux. Bien plus radical. « Qu’ils dégagent tous. »