Comment faire adopter un projet de loi électorale contesté aussi
bien par l'opposition que par ses
propres alliés ? Une réunion du PPRD,
le parti du président Joseph Kabila, s'est penchée vendredi sur la
question. Jeune Afrique reproduit en exclusivité l’enregistrement des
débats.
Corneille Nangaa poursuit ses consultations. Après les groupes parlementaires de la Majorité présidentielle (MP), qui ont clairement boudé, la veille, le principe d’un « seuil de représentativité » prévu dans la nouvelle réforme électorale,
le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni)
s’est entretenu, vendredi 25 novembre, avec les députés et certains
cadres triés sur le volet du Parti du peuple pour la reconstruction et
la démocratie (PPRD), la formation politique du président Joseph Kabila.
Contacté par Jeune Afrique, le député François Bokona
(PPRD), rapporteur de la Commission politique, administrative et
juridique (PAJ) de l’Assemblée nationale, confirme la tenue de ces
concertations mais dit ne pas y avoir pris part puisqu’il devait
participer à une autre réunion. D’après nos informations, Corneille
Nangaa s’est évertué à rassurer les lieutenants de Kabila quant à
l’intérêt, pour leur parti, de soutenir ce « seuil de représentativité »
proposé dans le projet de loi électorale.
« Seuil de représentativité », du pain bénit pour le PPRD ?
Concrètement, si la réforme est adoptée en l’état, les listes des
partis et regroupements politiques ou des candidats indépendants devront
atteindre ou dépasser « 3 % du nombre total de suffrages valablement
exprimés » au niveau national pour espérer remporter des sièges
dans l’hémicycle. Il deviendra ainsi indispensable aux formations
politiques de se regrouper dans de grands ensembles sous peine de
disparaître.
Jeune Afrique s’est procuré l’enregistrement sonore des échanges qui
ont suivi l’exposé du président de la Ceni. Le premier à s’exprimer est
Henri Mova Sakanyi, le secrétaire général du PPRD, qui a estimé d’entrée
de jeu qu’il fallait « défendre jusqu’au bout » la ligne du parti. Pas
question, selon lui, de « [s’] incliner parce que l’opposition a le vent
en poupe ». « C’est pour cela qu’on a aussi une majorité (…) »,
poursuit-il avant de donner la parole à Aubin Minaku, secrétaire
générale de la MP et président de l’Assemblée nationale.
Plus prudent, Aubin Minaku tente d’abord de sensibiliser ses
camarades au risque qu’il y aurait à soutenir ce « seuil de
représentativité » dans une Assemblée où, au-delà de l’opposition, les
alliés même du PPRD sont prêts à rejeter l’initiative au moment du vote.
« Irons-nous jusqu’au bout en sachant que cela peut
se passer de cette manière-là ? Sur le plan politique, est-ce bon ? »
interroge celui qui est présenté comme le dauphin putatif de Kabila.
Le seuil de représentativité, c’est quelque chose qui remet le PPRD sur pied », selon Mova Sakanyi
Mais pour Henri Mova Sakanyi, le PPRD n’a d’autre choix que de voter
en faveur de ce seuil de représentativité. D’autant que c’est, selon
lui, « quelque chose qui nous permet d’être beaucoup plus à l’aise ».
Autrement dit, il ne serait plus question de partager les
responsabilités au sein du gouvernement et des entreprises publiques
avec des alliés politiques, voire avec des opposants, et « d’introduire
[ainsi] des gens dans le gâteau, qui n’a pas grossi ». En conséquence,
plus personne au sein du PPRD n’a les moyens de financer le parti pour
les élections, avance-t-il sans convaincre ses camarades, qui se mettent
alors à hurler…
Devant la réticence de ses camarades à soutenir ce fameux « seuil de
représentativité », qui profiterait pourtant au parti, Henri Mova
Sakanyi lâche que « cela devient suspect » et rappelle que le PPRD est
en train de « trahir [sa] cause » en défendant « tous les jours » le
programme du gouvernement d’un « Premier ministre venu de
je-ne-sais-quel bord politique ». Allusion à Bruno Tshibala, dissident
du Rassemblement de l’opposition, qui a été fait chef du gouvernement
avec le soutien de la MP.
De son côté, Emmanuel Ramazani Shadary, vice-Premier ministre de
l’Intérieur, qui va défendre ce projet de loi électorale devant le
Parlement, n’est pas non plus rassuré. « Tout le
monde est contre. Ici aussi, il y a des contradictions au niveau du PPRD
: PPRD pur et les autres, qui […] croient qu’ils seront éliminés.
Est-ce que nous aurons 260 voix pour faire passer notre projet avec le
seuil ?” lance-il. La réponse de ses camarades est sans appel : « Non! »
Comment le PPRD a fabriqué ses partis alliés
Mais qui sont ces partis alliés du PPRD qui craignent de disparaître
si le « seuil de représentativité » est adopté ? A ceux qui l’auraient
oublié, Aubin Minaku rappelle qu’ils n’ont été créés que pour répondre à
une « stratégie électorale » « par rapport au mode de scrutin » choisi à
l’époque. Ce sont en réalité des « partis-tiroirs, sans militants et
sans drapeau », résume le secrétaire général de la MP, citant même
l’exemple d’une de ces formations dont les cofondateurs ont été désignés
parmi son entourage proche – son épouse et son assistant notamment –
pour servir de gardes-fous. Fou rire dans la salle.
;
« La machine à voter » ou l’instrument du PPRD ?
Reconnaissant qu’il y a « quelques soucis » dans le partage des
responsabilités avec ces « partis-tiroirs » ou « partis de la
mosaïque », Aubin Minaku assure que les choses changeront dans l’avenir,
se réjouissant au passage que Corneille Nangaa ait su « épater » et
« convaincre » beaucoup de partisans sur l’utilité de « la machine à
voter » en vue des prochaines élections.
Quant au « seuil de représentativité », Henri Mova Sakanyi appelle
les députés de son parti à [s]’assumer et [à] démontrer que la scène
politique [congolaise] a quand même des personnalités sérieuses qui
s’assument en tant que tel ». Au risque de voir le projet de loi rejeté
par la plénière de l’Assemblée nationale ? Car à ce stade, même
« l’encadrement » de certains élus (entendre « la distribution de
billets de banque », selon un député de la MP) ne garantit pas le vote
du projet de loi tel que présenté par le gouvernement, selon Minaku.
« Nous avons peut-être mal choisi le moment » de faire passer cette
réforme, estime le secrétaire général de la MP, laissant entendre que le
même projet de loi pourrait passer après le départ de Kabila.
Extrait Audio: https://soundcloud.com/jeune-afrique/reforme-electorale-extrait-dune-reunion-interne-du-pprd-parti-de-kabila-partie-4
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Source: Jeune Afrique