Depuis quelques jours, elles défraient la chronique sur les réseaux
sociaux. Des « poupées sexuelles
», prétend-on, s’arrachent comme des petits pains au grand marché de Ouagadougou. Sauf que personne ne les a vues. Jeune Afrique a mené l'enquête.
», prétend-on, s’arrachent comme des petits pains au grand marché de Ouagadougou. Sauf que personne ne les a vues. Jeune Afrique a mené l'enquête.
« Où allons-nous ? Les Ouagalais sont devenus plus branchés que les blancs mêmes. » Ainsi débute le post Facebook de la page « Rumeurs de Ouaga »,
publié le 22 janvier. Photo à l’appui, le texte diffuse une nouvelle
qui fait aujourd’hui l’effet d’une bombe sur les réseaux sociaux
burkinabè : « Poupée chinoise grandeur nature, 1,65 m, déjà disponible
au grand marché de Ouagadougou avec kpêtou [sexe féminin, ndlr] trop
réaliste : une véritable miss dans votre lit ! » Et de conclure :
« Elles s’arrachent comme des petits pains. Déjà 11 000 exemplaires
vendus en moins de deux semaines. »
Cette nouvelle faisant état de poupées sexuelles empilées
sur les étals du marché de Ouaga, qui se répand comme une traînée de
poudre, divise l’opinion burkinabè.
Dans un pays où plus de 60 % de la population est musulmane et plus de 23 % catholique,
la prétendue arrivée de ces accessoires sexuels n’est pas vue d’un bon
œil. Tandis que certains s’indignent de cette nouvelle preuve de la
marchandisation de la femme et de la dépravation des mœurs, d’autres y
voient une aubaine : l’occasion de se procurer une « petite amie »
malléable à souhait.
Sauf que… ni les uns, ni les autres, n’ont réellement vu ces « love dolls » de la discorde.
« Électro-bienfaitrices »
Ouagadougou n’est pas la seule ville concernée par cette
rumeur. Depuis quelques jours, la polémique enfle également dans
plusieurs capitales africaines : Douala, Abuja, Dakar, Abidjan… Des
posts conçus de manière artisanale et faisant leur promotion se sont
ainsi multipliés sur les réseaux sociaux.
Bye-bye les disputes, finies les jalousies, fini l’argent de pommade
Les poupées sont qualifiées de réalistes, flexibles, avec de
vrais cheveux et de beaux vêtements. « Bye-bye les disputes, finies les
jalousies, fini l’argent de pommade, les goumins [le manque
d’affection, ndlr]… Les électro-bienfaitrices sont à Abidjan », se
réjouit un internaute ivoirien.
Et pourtant, dans cette frénésie promotionnelle, aucun
message n’indique avec précision où l’on peut se procurer ces poupées
magiques. Autre hic : leur prix semble copié-collé (environ 800 000
nairas – soit 1,2 million de FCFA – selon un post nigérian, mais
seulement 800 000 FCFA à Ouagadougou) et en déphasage avec ceux du
marché.
Sur les sites spécialisés, les prix des poupées sexuelles en
silicone peuvent atteindre jusqu’à 5 000 euros en fonction des options
choisies et de la qualité du produit. Sur Amazon, néanmoins, une poupée
de qualité inférieure peut s’acquérir pour seulement une centaine
d’euros (autour de 65 000 FCFA).
Des sommes exorbitantes par rapport au salaire minimum d’un
travailleur burkinabè, qui est d’environ 40 000 francs par mois.
Difficile, donc, d’imaginer un tel produit s’écouler « comme des petits
pains » à Rood Woko, le grand marché de Ouagadougou.
De plus, une recherche rapide à partir de la photo
d’illustration qui accompagne régulièrement le message promotionnel
permet de se rendre compte que celle-ci a déjà été utilisée en 2011,
pour illustrer un article sur le développement du « mail-order bride ».
Dans cette pratique, des femmes venant de pays en développement
s’inscrivent sur les catalogues d’agences matrimoniales. Les hommes qui
les choisissent s’occupent ensuite des démarches administratives pour
les faire venir dans leur pays – mieux doté – afin de les épouser.
C’est quelque chose que nous n’avons jamais vendu à Ouaga
En 2013, la même image était ainsi utilisée pour illustrer
un article mettant en garde les femmes contre l’arrivée de poupées
siliconées… aux Philippines. Une rumeur qui, depuis, a fait le tour du
monde.
Comme au Maroc, en 2016, où une rumeur sur la mise en vente
de poupées gonflables avait provoqué une descente de police au grand
marché de Casablanca. Sans succès. Celle-ci avait été manifestement
alimentée par des images d’archives, mélangées à divers mini-reportages
et micro-trottoirs effectués par des médias locaux.
Aucune autorisation d’importation
À Ouaga, certains commerçants de Rood Woko ne demandent,
eux, qu’à voir ces poupées. « C’est quelque chose que nous voyons dans
les films mais que nous n’avons jamais vendu à Ouaga. Comme elles
viennent de sortir, peut-être qu’il faudra attendre quelques mois avant
que les gens en importent ici », confie le gérant d’un supermarché.
Un autre commerçant de la capitale se dit « choqué que des
personnes abandonnent de vraies femmes pour des poupées ». S’il a reçu
des images via WhatsApp, il ignore néanmoins si ces poupées sont
réellement vendues à Ouaga.
Nous n’avons jamais autorisé l’importation d’un tel produit au Burkina
Le ministère burkinabè du Commerce dément avoir octroyé des
licences pour l’importation de la « love doll ». « Nous n’avons jamais
autorisé l’importation d’un tel produit au Burkina », affirme à Jeune Afrique Alassane Ouédraogo, directeur au guichet unique du commerce et de l’investissement du ministère.
L’affaire n’en préoccupe pas moins les autorités. Le
ministère affirme ainsi avoir mené des investigations en vue de détecter
la présence de poupées sexuelles dans le pays. « Nous avons appris la
rumeur sur les réseaux sociaux et avons cherché à savoir si ces poupées
étaient réellement entrées sur notre territoire. Pour l’instant, nos
recherches ont été infructueuses », déclare une autre source officielle.
Source : Jeune Afrique