Le logeur de Daech, un "bouffon médiatique" devant la justice

Jawad Bendaoud, l'homme qui a logé deux auteurs des attentats du 13 novembre 2015, comparaît devant le tribunal correctionnel de Paris pour recel de malfaiteurs terroristes. Un énième procès pour celui qui a été la risée d'une France endeuillée.

"Il est celui dont on a trop ri après avoir trop pleuré", ont plaidé plusieurs fois ses avocats. Jawad Bendaoud, plus connu sous le nom du "logeur de Daech", comparaît devant la justice à compter du 24 janvier pour recel de malfaiteurs terroristes, en état de récidive. Le tribunal correctionnel de Paris s'efforcera d'établir si celui qui a hébergé deux auteurs des attentats du 13 novembre 2015, Abdelhamid Abaaoud et son complice Chakib Akrouh, a agi "pour rendre service", par appât du gain, ou joué un rôle plus trouble, comme le soupçonnent les parties civiles. Il encourt une peine de six ans d’emprisonnement.
Le procès doit durer trois semaines. Du pain béni pour les médias – plus de 60 journalistes accrédités –, et les réseaux sociaux, prêts à dégainer la plume. Au-delà du fait que ce procès soit le premier lié aux attentats de Paris et Saint-Denis, son principal prévenu est devenu, à ses dépens, un personnage médiatique célèbre. Et il s’est lui-même jeté dans l’arène.
Le 18 novembre 2015, alors que le Raid neutralise Abdelhamid Abaaoud et ses complices à Saint-Denis, Jawad Bendaoud accoste des journalistes de l’AFP et de BFMTV. "J’ai appris que les individus sont retranchés chez moi. Je n’étais pas au courant que c’étaient des terroristes", raconte-t-il face caméra. "On m’a dit d’héberger deux personnes pendant trois jours et j’ai rendu service (...) Je ne les connais pas du tout."


Un "caïd" de Saint-Denis
Le jeune homme alors âgé de 29 ans, lunettes, barbiche et blouson de cuir, est alors aussitôt menotté et embarqué par la police, toujours sous l'œil de la caméra. On apprend ensuite que Jawad Bendaoud est un "caïd" connu à Saint-Denis, un homme de main de marchands de sommeil. Surnommé "666", il a déjà été condamné en 2008 à huit ans de prison pour le meurtre d'un jeune lors d'une bagarre à propos d'un vol de téléphone portable. Et plusieurs autres fois pour faux, violences avec arme, détention de stupéfiants et transport d'armes.

Retour en 2015. Après 144 heures en garde à vue, une durée exceptionnelle, il est mis en examen pour association de malfaiteurs terroristes criminelle en vue de commettre une action violente. En accueillant lui-même les terroristes le 17 novembre à 22 h 45, il "ne pouvait douter [...] qu'il prenait part en connaissance de cause à une organisation terroriste", avait alors déclaré le procureur de Paris, François Molins. Placé en détention provisoire le 27 novembre à la prison de Villepinte, Jawad disparaît des écrans pendant un an.
La risée d'un pays en deuil
Mais l’homme ne se fait pas oublier pour autant. La séquence surréaliste de BFMTV a été diffusée en boucle sur toutes les chaînes de télévision et tourne ad nauseam sur les réseaux sociaux. Dans une France traumatisée par la tuerie qui avait fait 130 morts trois jours plus tôt, Jawad fait office de catharsis nationale. Il devient "le bouffon d’une république meurtrie", comme le titre alors L'Humanité.


"Jawad Bendaoud est devenu la risée des réseaux sociaux et le défouloir d'un pays en deuil", écrit sur le making of de l’AFP Sarah Brethes, la journaliste qui, la première, a récolté son témoignage, le matin du 18 novembre. "On est trois jours après les attentats. On est traumatisés. On a besoin de se saisir de ce qu’on a vécu, de le tordre et d’en faire quelque chose de différent, quelque chose qui fasse sourire. Et arrive ce personnage, qui se fictionnalise tout seul", explique de son côté sur France Inter Jean-Baptiste Boursier, le journaliste de BFMTV présent également ce matin-là.
Parallèlement aux médias "officiels", des parodies commencent à circuler sur Internet où Jawad devient un mème, une figure reproduite, partagée et détournée. Un faux compte twitter au nom du @LogeurDuDaesh récolte plus de 50 000 followers en trois jours. Des soirées pyjamas sont organisées chez lui sur Facebook tandis que la twittosphère n'en finit plus de trouver des jeux de mots.
Ne lâchant pas ce "bon client", les médias publient ensuite des lettres qu’il a écrites au juge d’instruction. Titulaire d’un brevet, il se plaignait d'être devenu un "bouquet missaire" (au lieu de "bouc émissaire"). Il précise également au juge que s’il avait su, "il n’aurait pas offert de 'Coca cherry et de l'Oasis'" à la bande d’Abaaoud. Des maladresses qui alimentent à nouveau les moqueries des internautes.
"Tout le monde se fout de ma gueule"
Bendaoud, lui, ne rit pas. Il laisse exploser sa vexation à chacune de ses comparutions judicaires. Le 26 janvier 2017, il réapparait pour la première fois au tribunal de Bobigny où il est jugé pour trafic de cocaïne. Pour se disculper de tout lien avec les terroristes, il avait en effet déclaré être un "simple dealer de cocaïne". Les juges l’ont pris au mot.
Lors de l’audience, l’homme arrive devant une salle moqueuse. Jawad Bendaoud, lui, enrage et injurie les policiers qui l’entourent : "Fils de pute, attends que je sorte d'ici, je vais te niquer", "Tu crois que je suis un terro ? Que je suis Salah Abdeslam ?". Toujours hurlant, Jawad Bendaoud est redescendu au dépôt. Il est jugé en son absence et écope de trois ans et huit mois de prison avec effet immédiat.
Pendant ce temps, Bendaoud est placé en garde à vue au commissariat de Bobigny pour "outrages et menaces sur personnes dépositaires de l'autorité publique" et "apologie du terrorisme". Le 1er juin 2017, il comparaît à nouveau à Bobigny et sa colère est intacte. Il assure que les surveillants de prison le surnomment toujours "Century 21" ou "Stéphane Plaza", en référence à l’animateur de M6 payé pour dénicher des appartements.
Et quand la présidente l’interroge sur ses projets de réinsertion, il partage son désarroi : "Je vais sortir, je vais faire quoi ? Je peux plus rien faire en France. Tout le monde me regarde bizarre, les infirmières, les jeunes en garde à vue. Hier, j'ai regardé le Jamel Comedy Club à la télé et ils se foutaient de ma gueule. Tout le monde se fout de ma gueule", déclare-t-il à la juge.
Le 30 octobre, ses avocats avaient demandé que son procès se tienne à huis clos, à l'abri de la "sphère médiatique", par "nécessité de dignité". Une requête refusée par le tribunal correctionnel de Paris.
Source: France 24