Quelles étaient les motivations du commando arrêté pendant la période de
Noël ? Après avoir évoqué
un coup d’État manqué, les autorités parlent
désormais d’« acte de terrorisme international ». JA a mené l’enquête.
C’est peut-être une tempête dans un verre d’eau, mais les
États d’Afrique centrale – déjà fragilisés économiquement par la chute
des prix de l’or noir, dont dépendent les budgets de la plupart d’entre
eux –, s’en seraient bien passé. La tentative de coup d’État qui semble avoir été déjouée pendant Noël, et qui visait manifestement le président de Guinée équatoriale, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, a mis de l’huile sur le feu.
Impliquant des Camerounais, des Centrafricains, des Tchadiens et des Équato-Guinéens,
ce putsch raté – ou « acte de terrorisme », ainsi que la diplomatie
équato-guinéenne est tentée aujourd’hui de requalifier ces événements – a
mobilisé chefs d’État et sécurocrates de toute la région, jusqu’à
l’ONU, qui a dépêché à Malabo le 8 janvier son envoyé spécial pour
l’Afrique centrale, le Guinéen François Louncény Fall.
Ils ont été nombreux à se déplacer jusqu’à Malabo pour
appuyer leur aîné, qui, à 75 ans, est au pouvoir depuis plus de
trente-huit ans.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, les arrestations se
poursuivent dans tout le pays : étrangers, membres de l’opposition,
entourage du chef… Le coup de Noël a ravivé la fibre xénophobe, et la
thèse d’un complot ourdi de l’intérieur avec l’appui de puissances
étrangères – régionales et internationales.
Pour l’ex-mercenaire britannique Simon Mann, auteur du célèbre Wonga Coup de 2004
– ce putsch déjoué contre, déjà, Obiang Nguema –, il s’agit d’une
opération « médiocre » menée par un commando de pieds nickelés.
Qui sont-ils ? Pour le compte de qui ont-ils agi ? Et
quelles seront les conséquences diplomatiques ? De Malabo à N’Djamena,
en passant par Bangui, Yaoundé, Paris, Madrid et Londres, Jeune Afrique a mené l’enquête.
Des montagnes du Guera aux forêts équatoriales
Le « putsch de Noël » déjoué à Mongomo
trouve ses racines à plus de 2 000 km des forêts équatoriales, au pied
des monts tchadiens du Guera. Cette région, bordée au nord par le désert
et qui s’étire au sud jusqu’aux contrées verdoyantes de la
Centrafrique, est le territoire des Hadjerais, dont est originaire
l’ancien commandant tchadien Mahamat Kodo Bani.
C’est parmi eux que ce général autoproclamé a recruté, dès
septembre 2017, plusieurs dizaines d’hommes, dont une bonne partie
croupit aujourd’hui dans une prison militaire camerounaise.
Il se fait alors assister d’un certain Haroun Bata, interpellé début
décembre et actuellement en détention dans les locaux des renseignements
généraux tchadiens. Leurs mercenaires ont tous perçu 500 000 Francs CFA
(762 euros) au départ de Kousséri, ville camerounaise située sur la
rive du Chari, face à N’Djamena.
Une attaque préméditée
Au même moment, à 1 500 km plus au sud, se joue une autre
partie. Dans la capitale centrafricaine, Bangui, un émissaire de Hamed
« Dada » Yalo convainc quelques mercenaires locaux de se joindre au
commando tchadien.
Formé à l’école des officiers du Tchad, le frère cadet de l’homme d’affaires Sani Yalo
(un proche de l’ancien président François Bozizé et de l’actuel chef de
l’État centrafricain, Faustin-Archange Touadéra) est arrivé dans la
ville camerounaise de Douala probablement début décembre.
Venu de Paris, où il s’est installé il y a plusieurs années,
il retrouve un ancien sergent de l’armée équato-guinéenne exilé aux
États-Unis, Laban Obama Abesso, qui a lui atterri à l’aéroport de la
capitale économique le 2 décembre.
Ce militaire, dont on ignore la nature des activités au pays
de l’Oncle Sam, a déserté l’armée en 1983 après avoir participé à une
fronde contre Teodoro Obiang Nguema Mbasogo.
Le duo est ensuite repéré dans les environs de la ville frontalière de
Kyé-Ossi avec le commando désormais composé de mercenaires tchadiens,
centrafricains, équato-guinéens et camerounais.
Peu discrète dans ses allées et venues, l’équipe est
rapidement repérée par les autorités locales, qui en informent Yaoundé.
Elle est mise sous surveillance.
Livraisons d’armes
C’est certainement à cette même période que des armes sont
livrées en Guinée équatoriale, dans la forêt qui borde les frontières du
Gabon et du Cameroun, si l’on en croit les déclarations
d’Équato-Guinéens interpellés dans le cadre de l’enquête. Selon eux, des
« mercenaires » utilisant « des téléphones satellitaires » ont
« transporté les armes à bord de six à huit voitures dissimulées dans la
forêt ».
Les sacs d’armes auraient ensuite été déposés dans une villa
louée depuis plusieurs semaines. La bande à Bani et Yalo semble alors
au complet. Ses relais locaux prêts à passer à l’action. Le palais de
Cohete, à Mongomo, où Teodoro Obiang Nguema Mbasogo s’apprête à passer
les fêtes, n’est qu’à une bonne heure de route. Selon des sources
équato-guinéennes, l’attaque est programmée pour le 28 décembre.
Une charge avortée
Mais le 23 décembre, tout s’accélère. Les services
camerounais, qui semblent avoir recoupé des informations en provenance
de Centrafrique, préviennent les autorités équato-guinéennes que des
hommes infiltrés sur leur territoire prépareraient une opération visant
le chef de l’État.
Deux jours durant, l’armée ratisse la région d’Ebebiyín
(ville qui fait face à Kyé-Ossi) et de Mongomo. Elle procède aux
premières arrestations et à des saisies d’armes. Certainement alerté, Zé
Bere Ekum (« la panthère aux aguets », en fang) se rend néanmoins à la
messe de Noël.
Dans la nuit du 27 au 28 décembre, à bord de plusieurs
véhicules, armé de lance-roquettes, de mitrailleuses (dont une BE-827
chinoise) et de munitions, le groupe de Kyé-Ossi se dirige vers la
frontière. Il est prêt à fondre sur Ebebiyín quand l’armée camerounaise
met prématurément un terme à son plan. Quelques éléments parviennent à
s’enfuir, dont Mahamat Kodo Bani, finalement intercepté deux jours plus
tard à Douala.
De multiples arrestations
En Guinée équatoriale, de nombreuses arrestations ont lieu à
Malabo, Bata, Ebebiyín et Mongomo. Leurs cibles : des Équato-Guinéens
et des Tchadiens, principalement. Le 30 décembre, Enrique Nsue
Anguesomo, ambassadeur de Guinée équatoriale au Tchad, est interpellé à
Ebebiyín, où il passait les fêtes en famille, selon sa défense.
Problème : personne dans sa hiérarchie n’avait été mis au courant, ce
qui attise les soupçons de Malabo.
L’armée fait également le siège des locaux du parti
d’opposition Citoyens pour l’innovation (CI), dirigé par Gabriel Nse
Obiang, ex-lieutenant de l’armée soupçonné un temps d’être impliqué.
Sur l’insistance de l’envoyé spécial de l’ONU pour l’Afrique centrale,
François Louncény Fall, qui s’est entretenu plus d’une heure et demie
avec le président Obiang Nguema le 8 janvier à Malabo, de nombreux
ressortissants tchadiens (des commerçants pour la plupart) ont été
relâchés, et le siège du CI levé.
Objectif Teodorín ?
Les objectifs du commando ne sont pas encore connus avec
certitude, d’autant que le ministre équato-guinéen des Affaires
étrangères, Agapito Mba Mokuy, se refuse à employer l’expression « coup
d’État », préférant parler d’« actes de terrorisme international ». Le
président Obiang Nguema passait les fêtes à Mongomo dans son palais de
Cohete, à une heure du lieu où se préparait l’opération, ce qui a
rapidement accrédité la thèse selon laquelle il était bien la cible du
commando.
D’autres sources ajoutent que la tentation dynastique du
chef de l’État, qui n’a pourtant jamais officiellement affiché son
intention de passer – ou non – les clés du pays à son fils Teodorín, ne
serait pas étrangère à l’affaire.
Elle expliquerait la colère de certains jeunes loups du
Parti démocratique de Guinée équatoriale (PDGE, au pouvoir). Son
secrétaire général, Jerónimo Osa Osa Ecoro, s’est d’ailleurs empressé de
publier un communiqué de soutien au président.
Une théorie renforcée par les accusations portées contre des
membres du parti, dont le fils du ministre de l’Intérieur, Ruben
Clemente Nguema, président de la cour provinciale de Bata, et par
l’arrestation de l’ambassadeur au Tchad et ancien secrétaire d’État à la
Sécurité nationale, Enrique Nsue Anguesomo. Pour le chef de l’État, la
procédure des « biens mal acquis » menée à Paris contre son fils
constitue une autre preuve qu’un complot est ourdi pour faire tomber ce
dernier.
Coup dur pour la Cemac
Aussi « abracadabrantesque » que cela puisse paraître – on
voit mal quel intérêt le président tchadien aurait eu à renverser son
« frère » équato-guinéen –, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo n’en démord
pas : Idriss Déby Itno est le premier responsable des troubles de Noël.
Il accuse son homologue de lui avoir forcé la main lors du
sommet extraordinaire de la Cemac, fin octobre 2017, pour ratifier
l’accord sur la libre circulation des personnes. Cet accord aurait ainsi
facilité l’arrivée des mercenaires, pour la plupart tchadiens, sur le
territoire équato-guinéen.
En conséquence, Obiang Nguema a fermé les frontières, mettant un terme, au moins temporairement, à un accord qui avait mis quinze ans à voir le jour. Obiang Nguema accuse le Tchad et la Centrafrique d’avoir servi de base arrière à ses ennemis.
« Opération déminage »
Résultat, dès le 3 janvier, l’opération déminage commence. N’Djamena envoie à Malabo son ministre des Affaires étrangères, Mahamat Chérif Zène, flanqué du patron de l’Agence nationale de sécurité, Ahmed Kogri, et du directeur du renseignement militaire, le général Mahamat Ismaël Chaïbo.
Le ministre promet l’entière collaboration tchadienne et se désolidarise de son compatriote Mahamat Kodo Bani.
Le 4 janvier, c’est au tour de Lambert-Noël Matha, ministre
gabonais de l’Intérieur, d’atterrir dans la capitale équato-guinéenne
afin d’apporter « un message de fraternité et d’amitié ».
Puis, le 9 janvier, c’est Faustin-Archange Touadéra
qui se présente. Le président centrafricain est – et c’est un
euphémisme – gêné aux entournures. Pour lui, Malabo est un allié
financier et militaire qui participe à la formation de son armée.
Touadéra cherche à calmer son aîné, qui veut la tête de la famille Yalo, dont il est proche et dont l’un des membres a été enrôlé dans le commando de Kyé-Ossi arrêté au Cameroun.
Il tente ensuite d’être reçu à Yaoundé, afin de rencontrer
Paul Biya. Mais le Camerounais, en visite dans son fief de Mvomeka’a,
n’est pas disponible. Il n’en suit pas moins le dossier, que peu de
responsables gouvernementaux acceptent d’évoquer. Aucun émissaire n’a
été dépêché à Malabo, alors que l’extradition des prisonniers est
négociée en coulisses.
« Je suis favorable à la libre circulation, mais il est
impensable de l’appliquer aujourd’hui, au regard du nombre d’actes
terroristes perpétrés dans la région », déclarait Teodoro Obiang Nguema
Mbasogo dans nos colonnes en avril 2016. L’Histoire, il en est sûr
désormais, lui a donné raison.
Source: Jeune Afrique