Le blocus contre le Qatar imposé depuis plus de neuf mois par l'Arabie saoudite et ses alliés n'a pas eu l'effet escompté : telle est la conclusion, lundi 5 février, du Fonds monétaire international.
Le
blocus anti-Qatar a-t-il fait pschitt ? Le Fonds monétaire
international (FMI) n’est pas loin de le penser. L'offensive, lancée en
juin 2017 par la coalition dirigée par l'Arabie saoudite, n'a eu qu'un
"effet transitoire" pour l'économie qatarie, a affirmé l’organisme
financier international, dans une note publiée lundi 5 mars.
L’émirat, qui semblait mal parti dans son bras de fer
contre quatre puissants pays de la région – l’Arabie saoudite,
l'Égypte, les Émirats arabes unis et le Yemen –, est promis à une
croissance de plus de 2,5 % en 2018, soit un peu plus que l’an passé.
Quelques séquelles
Pourtant, les pressions venues du Golfes furent sans
précédent. L’Arabie saoudite a notamment fermé sa frontière avec le
Qatar et le Yemen a instauré une interdiction de survol de son
territoire. Pas facile dans ces conditions d’importer ce dont le Qatar a
besoin, comme des produits alimentaires.
Il y a d’ailleurs eu un premier choc, qui semblait indiquer
que le blocus allait bel et bien étrangler le petit émirat. Les réserves
bancaires ont fondu : environ 40 milliards de dollars ont été retirés
des banques, note le FMI. "Les ventes de voitures – un indicateur
traditionnel de la bonne santé économique – ont chuté fortement peu
après l’instauration du blocus", souligne Gabriel Collins, un spécialiste des questions d’énergie au Center for Energy Studies (Centre américain des études énergétiques).
Il subsiste encore quelques séquelles. "Le tourisme en
provenance des autres pays du Golfe, par exemple, en a beaucoup pâti et
les hôtels sont aujourd’hui encore en grande partie vides", affirme
Karim Sader, politologue et consultant, spécialiste des pays du
Moyen-Orient et maître de conférence à l’université Saint-Joseph de
Beyrouth, contacté par France 24.
Mais le patient qatari s’est remis sur pied et ses moteurs
économiques ont tenu le coup. La machine à exporter du gaz, principale
source de revenus du Qatar, tourne à plein régime, et la banque centrale
a puisé dans ses immenses réserves pour soutenir le secteur bancaire
qui a fait preuve d’une grande résilience, notent les experts du FMI.
"Amateurisme" saoudien
Si le Qatar semble avoir survécu au pire, c’est que l’émirat
a su réagir avec une célérité qui a pris le quartet par surprise.
"Depuis une vingtaine d’années, le pays cultive un activisme
diplomatique basé sur des alliances tous azimuts qui a été pensé pour
survivre précisément à ce genre de scénario", explique Karim Sader.
Le jeu d’équilibriste sur la scène internationale de l’émir
Tamim ben Hamad Al-Thani, hérité de son père, lui a permis de trouver
rapidement des partenaires économiques alternatifs. "La Turquie et
l'Iran ont pris le relais pour satisfaire les besoins alimentaires des
Qataris. C'est à ça que cela sert d'être copain avec tout le monde",
résume le politologue.
Sur le plan financier, les placements effectués un peu
partout dans le monde ont fait des petits "qui ont pu être rapatriés
pour soutenir le secteur bancaire", ajoute Karim Sader.
Si le Qatar a suivi au pied de la note une partition écrite
pour ce type de situation, l'Arabie saoudite et ses alliés ont, quant à
eux, "fait preuve d'un grand amateurisme", juge le consultant. Ils ont
instauré un blocus sans dire clairement quel était leur objectif. Et
lorsque le quartet a finalement édicté une liste de revendications, fin
juin 2017, la communauté internationale a estimé qu’elles étaient largement irréalisables pour Doha.
Autre problème : le blocus mis en place ne concernait pas le
secteur énergétique. Vouloir étrangler un pays sans toucher à sa poule
aux œufs d’or peut sembler paradoxal. Mais les pays du quartet n’avaient
pas beaucoup d'autre choix, puisque les Émirats arabes unis dépendent
du gaz qatari, tout comme l’Égypte, dans une moindre mesure.
Finalement, la crise s'est transformée "en échec stratégique
pour l'Arabie saoudite", juge Gabriel Collins. Le pouvoir qatari a,
quant à lui, vu "sa légitimité sur le plan national et son influence sur
la scène internationale renforcées", assure Karim Sader. Pour lui,
cette affaire aura reveillé un fort sentiment national qatari.
Pour un coût économique minimal ? Pour l’instant. Le Qatar
ne peut vivre indéfiniment sous le coup d’un blocus économique. Ne
serait-ce que parce que les routes d’approvisionnement alternatives
coûtent plus cher. Tout dépend de l’entêtement de l’Arabie saoudite et
donc, in fine, de la pression des États-Unis.
Ce n’est pas un hasard si Doha, après les déclarations de
Donald Trump accusant le Qatar en juin 2017 de "financer le terrorisme",
a déployé des trésors de lobbying pour changer l’état d’esprit du
président américain. Conséquence : le 15 janvier 2018, Donald Trump a
officiellement "remercié le Qatar pour son combat contre le terrorisme
et toutes les formes d’extrémisme". La balle est revenue dans le camp
saoudien.