La société civile guinéenne était dans la rue ce
mardi pour réclamer une nouvelle fois le retour du
prix du carburant
(vendu depuis le 1er juillet à 10 000 francs). La mobilisation a
toutefois laissé transparaître les querelles de leadership et d’intérêts
entre ses différents acteurs.
À l’appel de la plateforme Forces sociales de Guinée, des
milliers de Guinéens ont battu le pavé à Conakry, mardi 10 juillet,
pour exiger la baisse du prix du carburant à la pompe de 10 000 à 8 000 francs,
soit le tarif en cours jusqu’au 30 juin dernier. Cette revendication
sociale s’est traduite par une marche pacifique sans incident qui est
partie à 9 h 30 du rond-point de la Tannerie, dans la commune de Matoto
(haute banlieue de Conakry) pour s’arrêter aux environs de 13 h sur
l’esplanade du stade du 28 septembre, dans la commune de Dixinn.
8 000 FG le litre », pouvait-on lire sur les pancartes
Les marcheurs scandaient, tout le long de l’itinéraire d’environ
quinze kilomètres, des slogans qu’on pouvait également lire sur leurs
pancartes : « 8 000 FG le litre », « Tous contre l’augmentation du prix
du carburant ». Des revendications également en ligne sur Twitter avec
le hastag #8000C’estbon.
« On ne peut pas payer la facture de la mauvaise gouvernance »
« On ne peut, dans le contexte actuel de paupérisation, demander aux
populations de payer la facture de la mauvaise gouvernance, fustige
Abdourahamane Sanoh, un des leaders de la société civile, qui dirige la
Plateforme nationale des citoyens unis pour le développement (PCUD).
C’est inacceptable et c’est la raison pour laquelle les Forces sociales
[regroupement de la société civile autour du PCUD, ndlr] ont appelé à
cette marche pour dire non au gouvernement. Il y a d’autres possibilités
qu’on peut explorer comme la réduction du train de vie de l’État, les
taxes minières, la lutte contre la corruption et les détournements des
deniers publics ».
Le gouvernement, dans un communiqué lu lundi soir à la télévision
d’État par Amara Somparé, le ministre de la Communication, avait annoncé
des mesures d’accompagnement via la remise en marche du train Conakry
Express reliant la haute banlieue au centre-ville de Kaloum à des tarifs
abordables, et une quarantaine de bus. Mais Abdourahamane Sanoh
rappelle que « la Guinée ne s’arrête pas à Conakry. Mieux,
l’augmentation du prix du carburant provoque une flambée généralisée des
prix et renchérit le coût de la vie. Ce n’est pas seulement un problème
de transport ».
« Nous ne sommes pas fermés à la discussion »
Le mouvement Debout citoyen s’est aussi joint à la marche. Dansa
Kourouma, président du Conseil national des organisations de la société
civile de Guinée (CNOSCG), l’un des membres de cette autre plateforme,
pointe du doigt l’augmentation unilatérale du prix du carburant. « Les
Guinéens ne vont plus accepter n’importe quelle mesure, surtout quand
les décisions aux impacts sociaux n’ont pas été prises autour de la
table du dialogue. Cela prouve le mépris du gouvernement pour la
population. Nous voulons que le respect des citoyens soit la colonne
vertébrale de l’action gouvernementale. 8000 FG le prix du carburant ou
rien ! ».
Dansa Kourouma se dit ouvert à des négociations avec le gouvernement
si ce dernier ramène le prix à son niveau initial. « On reviendrait
alors autour de la table pour discuter, poursuit-il. […] Si
l’augmentation du prix du carburant s’impose comme une nécessité, on
prendra les mesures d’accompagnement qu’on nous proposera. Nous sommes
ouverts à toute discussion, pourvu que les décisions n’écrasent pas le
panier de la ménagère ».
La marche a été grossie par certains membres de la classe politique,
du barreau de l’ordre des avocats et d’autres personnes affiliées à
aucune structure politique ou de la société civile. Des sources
sécuritaires et des observateurs estiment la mobilisation entre trois
mille et quatre mille manifestants.
Des querelles de leadership
La société civile guinéenne est cependant minée par une guerre de
leadership, notamment entre Dansa Kourouma et Abdourahamane Sanoh. Le
premier hérite de l’une des premières organisations de la société civile
du pays et se considère de ce fait comme le leader traditionnel. Le
second, lui, veut incarner le renouveau.
En public, cependant, chacun des deux évite soigneusement d’évoquer
la bipolarisation de la société civile. « Il n’y a pas d’exclusion
possible, soutient Abdourahamane Sanoh. Il faut qu’on travaille
ensemble. Nous regardons déjà dans le même sens, il suffit tout
simplement de se donner la main, de se serrer les coudes ».
Si Dansa Kourouma se réjouit de « la communion retrouvée de la
société civile », il admet que ses leaders ont du mal « à transcender ce
qui les oppose » et l’existence « d’extrémistes de part et d’autres
opposés à l’unité ».
Nous avons fait la paix des braves »,
Ce qui s’est traduit par certains incidents sur le terrain. Les
membres de la plateforme Forces sociales et ceux de Debout citoyen ont
emprunté le même itinéraire sans former un bloc commun, laissant des
espaces entre les groupes. Dansa Kourouma est arrivé le premier sur
l’esplanade du stade de Conakry et a tenu son discours sans attendre
l’arrivée du second cortège. Certains de ses adversaires ne se sont pas
empêchés de le huer, comme ce manifestant qui préfère garder l’anonymat :
« C’est un opportuniste… Il a rejoint le mouvement à la dernière minute
au vu de son ampleur ».
Réponse dans la même veine : « Dans cette foule, tout le monde est
opportuniste… Il y avait des militants politiques qui scandaient des
slogans hostiles au pouvoir, s’attaquaient à des personnalités… J’ai dit
: non, on n’est pas venu pour insulter mais pour défendre la baisse du
prix du carburant. Les opportunistes, ce sont ceux qui ne voulaient pas
que tout le monde s’exprime ».
Mais pour la marche de ce 10 juillet, toutefois, « nous avons fait la
paix des braves, c’est la première fois que nous marchons ensemble »,
se réjouit-il.
Les plateformes Forces sociales et Debout citoyen ont appelé ensemble
à une journée ville-morte ce mercredi. Le début d’une unité retrouvée ?
Source: Jeune Afrique