Wa Lone et Kyaw Soe Oo sont sortis mardi de la prison de Rangoun où ils
ont passé plus de
500 jours en détention, selon une vidéo mise en ligne
par leur agence.
Libres ! Mardi 7 mai au matin, Wa Lone, 32 ans, et Kyaw Soe Oo,
28 ans, les deux journalistes de l’agence britannique de presse Reuters,
sont sortis de la prison d’Insein, à Rangoun, agitant les mains devant
leurs confrères qui les attendaient aux portes du pénitencier. Après
511 jours passés derrière les barreaux de cette prison tristement
célèbre durant les années de dictature militaire (1962-2011), les deux
hommes viennent de bénéficier d’une amnistie surprise de la part du
président birman, Win Myint. Ils ont été graciés au nom de « l’intérêt national sur le long terme », a déclaré le porte-parole du gouvernement, Zaw Htay.
Le 3 septembre 2018, après neuf mois d’incarcération, ils avaient été condamnés à sept ans de prison pour « violation de secrets d’Etat ».
Cette sentence, qui avait provoqué un tollé mondial, avait renforcé le
sentiment que, même sous le leadership de l’ancienne dissidente Aung San
Suu Kyi, désormais « conseillère d’Etat » – c’est-à-dire de facto
première ministre –, la Birmanie « démocratique » était en train de
glisser de nouveau vers l’autoritarisme. Et que l’armée continuait à
peser lourdement sur la conduite des affaires du pays.
Wa
Lone et Kyaw Soe Oo avaient été arrêtés en décembre 2017 alors qu’ils
enquêtaient sur l’exécution sommaire par des soldats birmans de dix
paysans rohingya dans le village d’Inn Din, situé dans l’Etat de
l’Arakan (ou Etat Rakhine). Les corps des dix suppliciés avaient été
retrouvés après les massacres de masse perpétrés à partir du
25 août 2017 par les forces de sécurité contre les membres de cette
minorité musulmane de l’Ouest birman. Depuis, 700 000 d’entre eux sont
réfugiés au sud du Bangladesh, sans qu’aucune solution à leur exil ait
été trouvée.
Un gradé avait reçu l’ordre de les « piéger »
Il
est apparu très vite que les deux reporters de Reuters avaient été les
victimes d’un piège tendu par la police birmane dans le but de les
empêcher de s’approcher trop près de la vérité : juste avant leur
arrestation, ils dînaient avec des policiers qui leur avaient remis des
documents « secrets » à propos du massacre des dix Rohingya. Mais
quelques instants plus tard, alors qu’ils venaient de sortir du
restaurant, ils étaient « par hasard » interpellés en possession de
papiers « top secret », dont ils n’avaient d’ailleurs pas encore eu le
temps de prendre connaissance.
En avril de l’année
suivante, un officier de police du nom de Moe Yan Naing avait de
surcroît affirmé, devant le tribunal où étaient jugés les deux
journalistes, qu’il était au courant qu’un gradé avait reçu l’ordre de « piéger » les deux reporters en leur « donnant des documents secrets ». Le policier avait ensuite été condamné à un an de prison pour « violation du code de discipline ».
La justice birmane, dont rien ne laisse imaginer qu’elle soit indépendante du pouvoir, s’était montrée inflexible : « Nous
avons estimé que les coupables ont eu l’intention de nuire aux intérêts
de l’Etat. Ils sont coupables en vertu de la loi sur la protection des
secrets d’Etat », avait tranché le juge Ye Lwin, s’appuyant sur une
loi datant de la colonisation britannique et qui pouvait envoyer
derrière les barreaux les deux journalistes pour une durée de quatorze
ans.
L’armée avait fini par reconnaître au début de 2018
que les dix paysans rohingya avaient bien été exécutés par des soldats
et des membres de milices villageoises bouddhistes. Mais pour ajouter
aussitôt que les dix personnes étaient des « terroristes »,
membres de la guérilla de l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan
(ARSA), dont les attaques contre des casernes de policiers et de soldats
avaient précédemment provoqué la répression militaire à une grande
échelle contre la population civile.
Le verdict contre
les deux journalistes de Reuters était tombé juste après le rapport
dévastateur d’une commission d’enquête de l’ONU, rendu public le
27 août 2018 : pour la première fois, les militaires birmans s’étaient
retrouvés accusés d’être responsables d’un « génocide » contre
les Rohingya. Le rapport des Nations unies avait également recommandé
que le chef d’état-major de l’armée, le général Min Aung Hlaing, ainsi
que cinq de ses adjoints soient déférés devant la Cour pénale
internationale pour leurs « crimes contre l’humanité ».
« Je suis journaliste et je vais continuer mon boulot »
Le
mois dernier, les deux hommes avaient reçu le prix Pulitzer, l’un des
prix de journalisme les plus prestigieux, récompensant leur travail
difficile et périlleux dans une Birmanie démocratisée depuis la fin de
la dictature, mais où les lois en vigueur permettent encore de brider la
liberté de la presse.
L’ex-dissidente Aung San Suu Kyi,
que les généraux birmans avaient naguère placée en résidence surveillée
durant une quinzaine d’années, n’a rien fait pour peser sur la décision des juges. Les deux journalistes « n’ont
pas été emprisonnés parce qu’ils sont journalistes, ils ont été
emprisonnés parce que la cour a décidé qu’ils avaient violé la loi sur
les secrets d’Etat », avait-elle plaidé en septembre 2018 lors d’un Forum économique mondial organisé à Hanoï, au Vietnam.
Cette première réaction de la dirigeante birmane, déjà amplement critiquée depuis des mois pour ne pas avoir dénoncé les exactions des militaires
à l’encontre des musulmans rohingya, avait notamment déclenché les
foudres des Etats-Unis, en la personne de l’ambassadrice américaine aux
Nations unies, Nikki Haley, qui avait jugé « incroyable » la réaction de Mme Suu Kyi.
Le
23 avril, la Cour suprême de Birmanie avait rejeté le dernier appel des
avocats des deux condamnés, déclarant que la sentence prononcée serait
maintenue. Il est cependant d’usage que le président de l’« Union de
Myanmar » amnistie des prisonniers durant la période suivant le Nouvel
An birman, qui a eu lieu le 17 avril.
Les mois passés en
prison n’ont pas eu l’air d’affecter la détermination des reporters. Wa
Lone a déclaré, durant sa conférence de presse improvisée : « Il me tarde de revenir au bureau. Je suis journaliste et je vais continuer mon boulot. »