Après un mois de manifestations contre le régime du président algérien
Abdelaziz Bouteflika, le
mouvement a frappé par son pacifisme, mais
aussi son humour. Jeune Afrique vous propose le portrait de Ziri Gunfood
Oulmane, un artiste bénévole aussi décalé qu'inventif, à l'origine de
nombreux slogans et pancartes.
Ses pancartes et ses slogans à la dérision aussi ravageuse que désopilante sont brandies chaque vendredi par des centaines de manifestants qui défilent dans les rues d’Alger
et même de Paris. Pour la marche du vendredi 22 mars, il a mis en ligne
sur son compte Facebook 111 affiches et pancartes à télécharger
gratuitement. Sa seule condition? « Que les personnes qui choisissent
ces créations lui envoient un maximum de photos de ses pancartes
brandies dans les prochaines marches. »
Derrière ces affiches qui ont fait le tour du monde pour célébrer
l’humour algérien, il y a Ziri Gunfood Oulmane. Il faut faire preuve de
persuasion pour le faire parler, tant il souhaite rester dans l’ombre.
Silhouette tellement frêle qu’il peut être soufflé par une petite brise,
bonnet en laine vissé sur la tête, barbe qui lui mange tout le visage,
Ziri est graphiste de métier.
À 31 ans, ce jeune homme qui a quitté avec ses parents son fief de
Jijel, dans l’est du pays, au début des années 1990 pour fuir le
terrorisme, est un héros anonyme. Comme un ermite dans son bureau, il
bricole des slogans empruntés au pop art, au cinéma et à la culture
populaire algérienne. Il a de qui tenir. Son père médecin (comme sa
mère) est dessinateur à ses heures perdues. Il a même signé des
affiches, notamment pour l’Organisation mondiale de la santé. Bon sang
ne saurait mentir.
« Ma contribution à la révolution »
La veille de la grande marche du 22 février,
Ziri s’est mis en tête de concevoir à ses propres frais quelque 80
affiches, avant de les distribuer gratuitement aux manifestants. Sa
première pancarte ? Une photo de Chuck Norris, l’acteur américain de la
série télévisée « Walker, Texas Ranger », davantage connu pour ses
aphorismes que pour ses talents au cinéma ou sur le petit écran. Le
personnage brandissait ce slogan : « Chuck Norris désapprouve le 5e
mandat. »
Ses amis et admirateurs sur les réseaux sociaux le couvrent d’éloges
et de remerciements. Le jeune homme est tellement modeste qu’il est
capable de faire des excuses à ceux qui l’encensent sur la toile et dans
la vraie vie. « Si Bouteflika part avant, c’est raté, rigole-t-il. Il
faut qu’il reste encore un peu pour que nous puissions rigoler dans la
rue. » Exténué par des heures de travail souvent jusque tard la nuit, il
prend congé de ses fans avec toujours une pointe d’humour. « Je suis
totalement mort de fatigue, écrit-il. Je prends congé de la vie pour les
prochains jours, le temps de faire ma photosynthèse ! »
L’un des rares moyens de titiller les politiques est de passer par la satire. L’humour est l’arme de dérision massive pour participer au ‘coulage’ du système
Jeux de mots, calembours, détournement d’images de marques célèbres,
pastiches d’affiches de cinéma, Ziri dégaine sur tout ce qui bouge,
comme ses deux acteurs fétiches, Clint Eastwood
et bien sûr Chuck Norris. « Je voyais les gens parler politique alors
que je ne suis pas du tout intéressé par le sujet, explique-t-il en
triturant son briquet, lors de notre rencontre au bar d’un hôtel près de
la Place Audin, lieu de ralliement des manifestations algéroises. Je me
suis dit que l’un des rares moyens de titiller les politiques est de
passer par la satire. L’humour est l’arme de dérision massive pour
participer au ‘coulage’ du système. »
Ziri dit qu’il préfère ne pas signer ses oeuvres, ne cherche pas la
notoriété et ne souhaite pas faire du business avec ses productions.
Certains en profitent pourtant pour les monnayer et se faire de l’argent
sur son dos. Pas lui. « Une bonne partie de mon salaire dérisoire est
engloutie dans l’impression de ces pancartes, avoue-t-il. Qu’importe.
C’est ma contribution à la révolution. Les rues d’Algérie sont les seuls
endroits au monde où Chuck Norris manifeste contre le 5e mandat de
Bouteflika. Et ça suffit à mon bonheur. »