Comment les musulmans qui vivent et travaillent au Japon, dans un pays
de culture différente,
parviennent-ils à équilibrer leur journée, jeûne
et rupture du jeûne pendant le ramadan ? Nous avons suivi la journée
d’un musulman en entreprise.
M. Abushiba vit au Japon depuis 13 ans aujourd’hui. Pour son premier
ramadan au Japon, il était étudiant à l’Université Hirosaki dans la
préfecture d’Aomori. Étant la seule personne de religion musulmane, il
était seul à jeûner, et seul encore, chaque soir, pour l’iftar
(rupture du jeûne, après le coucher du soleil). Aujourd’hui, tous les
jours, quand il rentre du travail, son épouse, qui vient comme lui du
Soudan, a préparé le repas qui leur permet de retrouver le goût de leur
pays natal. M. Abushiba est un homme heureux.
Jour de jeûne
Pendant le ramadan, la journée de M. Abushiba
commence dès 2 h 30 par un repas avant le lever du soleil qui lui
permettra de tenir sans manger et sans boire jusqu’au coucher du soleil.
Après la prière de l’aube, il se recouche jusqu’à l’heure de se rendre
au travail. Après 40 minutes de train bondé et 3 changements, il arrive
enfin au bureau.
Dans les pays islamiques, il est d’usage de
raccourcir la journée de travail ou de cours pour permettre aux employés
et aux étudiants de rentrer plus tôt chez eux pendant le ramadan. Il
n’existe pas un tel système dans les entreprises japonaises. Néanmoins,
la flexibilité des heures de travail mise en place chez Toshiba permet
dans une certaine mesure à chacun d’adapter ses horaires, ce qui est
précieux.
En
entreprise, même pendant le jeûne, il va travailler comme les autres
mois de l’année. Il part même parfois en déplacement professionnel. En
période normale, même s’il essaie d’éviter de faire des heures
supplémentaires, il arrive que le travail en cours exige qu’il reste au
bureau jusqu’à 21 heures, voire 22 heures. Pendant le ramadan, il ne
prend aucune heure supplémentaire, mais si une réunion s’éternise un peu,
quand le soleil est couché, il surmonte la faim avec un verre d’eau, un
jus de fruits ou une datte, histoire de patienter jusqu’à son retour à
la maison où le vrai repas de l’iftar l’attend.
Un employeur compréhensif, des collègues coopératifs
M.
Abushiba n’est pas le seul employé musulman à Toshiba, D’autres
employés indonésiens ou malaisiens sont dans le même cas que lui.
Quand
M. Abushiba a été engagé, quelle n’a été sa surprise de s’entendre
dire : « Nous préparons la salle de prière, merci de bien
vouloir attendre un peu ». Il n’osait y croire, mais de fait, une salle
de prière a bien été mise à disposition des employés musulmans dans les
locaux de la maison mère à Hamamatsuchô, peu de temps après son
incorporation. Son supérieur, M. Nagaie Ryûji, explique que « la
décision d’aménager une salle de prière pour les employés musulmans a
été prise en conformité avec la politique de la compagnie de recruter du
personnel international. Le Smart Communication Center du groupe
Toshiba, situé à Kawasaki, où M. Abushiba travaille aujourd’hui, dispose
lui du groupe Toshiba, situé à Kawasaki, où M. Abushiba travaille
aujourd’hui, dispose lui aussi d’une salle de prière. De même, la
cantine des employés ne propose pas de menu hallal, mais des symboles
faciles à comprendre permettent aux employés pratiquant certaines
restrictions alimentaires de choisir le menu en fonction de leur choix.
Ses
collègues sont également d’une grande compréhension et coopératifs.
Ceux de la division Asie du Sud-Est, dont un certain nombre de leurs
clients sont musulmans, possèdent une connaissance de base sur la
coutume du ramadan. Ils lui demandent « quand commence le ramadan cette
année ? » ou « Cela fait combien d’heures de jeûne par jour ? » « Ce
n’est pas trop dur ? »
« Mais si je leur propose de se joindre à moi pour jeûner ensemble, là, j’ai moins de succès ! », plaisante M. Abushiba.
M.
Nagaie, qui a été 8 ans en poste aux Émirats arabes unis et jeûnait
pendant le ramadan à cette époque, recommande aux autres employés de ne
pas boire ou manger devant les yeux de leurs collègues musulmans qui
jeûnent et restent au bureau pendant que tout le monde est en pause de
midi. De même, permettre à M.Abushiba de rentrer chez lui plus vite pour
l’iftar sans qu’il n’ait d’heures supplémentaires n’est pas
une consigne officielle de la direction, mais une coopération et une
preuve de considération de la part de ses collègues de groupe.
Les joies du ramadan
17 h 30. M. Abushiba prend le chemin du
retour un peu plus tôt que ses collègues. En chemin, il achète de la
menthe fraîche pour le thé à la menthe d’après dîner, et arrive chez lui
environ 30 minutes avant le coucher du soleil. Son épouse Hadeel est
très occupée à la cuisine, mais le magnifique repas est déjà disposé et
occupe toute la surface de la table. M. Abushiba change son costume
cravate pour un vêtement traditionnel très ample, entièrement blanc,
pendant que la soupe réchauffe. Quand elle est servie dans les
assiettes, c’est prêt !
19 h 00. L’adhan (l’appel à la prière) résonne sur son smartphone pour signaler que le soleil est dorénavant couché. Dans son pays d’origine, l’adhan s’entend, où que l’on soit. Mais ici, c’est une application spéciale qui fait le travail.
Après
environ 16 heures et demi de jeûne, M. Abushiba commence par s’humecter
la gorge avec un jus d’orange. Puis il mange une datte. Hadeel a
préparé le repas de l’iftar, mais ne pouvant pas goûter ses
plats pour respecter le jeûne, elle ne sait pas si elle a mis assez ou
trop de sel. « C’est parfait », la félicite son époux, avant d’inviter
chacun à se servir avec le sourire.
« Les
quatre ramadan successifs que j’ai passé à Aomori, chez des gens qui
n’avaient aucune connaissance du jeûne, ont été assez solitaires », se
souvient M. Abushiba. Heureusement, à Tokyo où il a déménagé après être
engagé chez Toshiba, il a trouvé de nombreux coreligionnaires avec qui
faire la fête en prenant l’iftar ensemble. Et cela va sans dire
que depuis son mariage il y a trois ans, le plaisir de la rupture du
jeûne n’en est bien sûr que plus grand.
Sa femme Hadeel se réjouit
du ramadan : « Je suis heureuse parce que mon époux rentre à la maison
plus tôt que d’habitude. » La culture soudanaise privilégie la vie
familiale par rapport au travail, aussi a-t-elle du mal à voir son mari
tellement accaparé par son travail, explique-t-elle en riant. Lors de
son premier ramadan au Japon, il y a trois ans, elle ne parlait pas
encore la langue. S’occuper des achats, préparer le repas et attendre
son époux étaient les seules choses qu’elle pouvait faire, et elle
s’était sentie assez triste. Mais maintenant, elle raconte qu’ils se
sont fait de nombreux amis. Ils participent à l’iftar de la
communauté des Soudanais et des Égyptiens de Tokyo, ils invitent des
amis chez eux, ou sont invités à leur tour. Le ramadan n’est qu’une
suite de bonheurs.
Rêve d’avenir
C’est parce que son
emploi à Toshiba lui plaît, qu’il a envie de continuer sa carrière chez
cet employeur et de vivre au Japon dans l’avenir, que M. Abushiba a
demandé à prendre la nationalité japonaise. Son supérieur dit de lui :
« ses connaissances en langue japonaise sont supérieures aux Japonais
eux-mêmes ! » Malgré tout, M. Abushiba pense qu’il a besoin
d’approfondir sa compréhension de la mentalité et du style de vie des
Japonais. Et s’il est actuellement chargé de la zone des pays d’Asie du
Sud-Est, son rêve est de devenir un jour responsable du bureau de
Toshiba au Moyen-Orient, afin de jouer un rôle dans la recherche d’un
équilibre entre la façon japonaise de travailler et la connaissance de
la culture et de la religion du Moyen-Orient. Il continuera en tout cas à
s’adonner d’arrache-pied au développement des échanges et des relations
d’affaires entre le Japon et les pays islamiques.
(Adapté d'un texte original en japonais de Katô Megumi et Mohamed Hassan, Nippon.com. Photos : Ôtani Kiyohide, Nippon.com)
Source: nippon.com