
Si les
observateurs interrogés par Sputnik sont unanimes sur la nécessité d’un
dialogue pour résoudre
la crise séparatiste qui déchire le Cameroun, les conditions de son organisation restent floues. Alors que le gouvernement de Yaoundé se dit prêt à discuter de tout sauf de la «séparation», les séparatistes n’excluent aucune option. Décryptage.
la crise séparatiste qui déchire le Cameroun, les conditions de son organisation restent floues. Alors que le gouvernement de Yaoundé se dit prêt à discuter de tout sauf de la «séparation», les séparatistes n’excluent aucune option. Décryptage.
L’annonce
de Paul Biya sur l’ouverture imminente d’un dialogue sur la crise
anglophone par la voix de son Premier ministre, en mai dernier, lors de
sa tournée dans les régions anglophones du Cameroun, avait suscité
l’espoir que des négociations puissent être entamées.
Mais, depuis lors, plus rien et notamment en ce qui concerne le calendrier, les acteurs, le cadre et le menu des discussions.
En effet lors de cette tournée dans les régions anglophones, le
Premier ministre du Cameroun, Joseph Dion Ngute, a déclaré que le
pouvoir était prêt à organiser un dialogue pour résoudre le conflit avec
les séparatistes. Le président Paul Biya «m’a demandé de dire que
hormis la séparation et la sécession, tout le reste peut être discuté»,
avait-il déclaré, sans préciser quel serait le calendrier, ni les autres
conditions dans lesquelles se tiendrait ce dialogue. Pour Moussa Njoya,
un analyste politique camerounais, interrogé par Sputnik, la démarche
employée jusqu’ici n’a pas de quoi rassurer:
Fin 2017, les séparatistes des régions anglophones du Nord-Ouest et
du Sud-ouest ont pris les armes contre le gouvernement de Yaoundé pour
réclamer la création d’un État dénommé «Ambazonie». Les tensions
actuelles ont commencé en novembre 2016 avec principalement les
revendications des enseignants déplorant la nomination de francophones
dans les régions anglophones et de juristes déplorant la suprématie du
droit romain au détriment de la Common Law anglo-saxonne.
Alors que le conflit a déjà fait 1.850 morts (civils, militaires et miliciens) après 20 mois d’affrontements, avec à la clé 530.000 déplacés internes et 35.000 réfugiés au Nigeria voisin, selon l’ONG International Crisis group, la solution politique visant à ouvrir un dialogue entre les belligérants coince. Pourquoi?
Un avis partagé par Moussa Njoya. Pour lui, plusieurs zones d’ombre
persistent encore dans l’organisation de pourparlers entre
protagonistes.
Incarcéré depuis janvier 2018 à la prison centrale de Yaoundé, Sisiku
Ayuk Tabe, le leader des séparatistes anglophones a répondu à l’annonce
de ce dialogue par Yaoundé en définissant ses conditions. Le président
autoproclamé de la république virtuelle de «l’Ambazonie» a notamment
exigé la libération de toutes les personnes incarcérées dans le cadre de
la crise anglophone, le retrait de l’armée dans les régions du
Nord-Ouest et du Sud-ouest, ainsi que celui des autorités
administratives, notamment les préfets et gouverneurs qui y travaillent,
la tenue du dialogue à l’étranger et la présence d’observateurs
étrangers. Autant dire que de telles exigences risquent de «plomber tout
espoir de parvenir à une solution politique», comme l’indique Joseph
Lea Ngoula:
De leur côté, les responsables religieux anglophones, conduits par le
Cardinal Christian Tumi, insistent depuis juillet 2018, sur la
nécessité de parvenir à organiser une conférence générale anglophone.
Une rencontre qui viserait à débattre des solutions à apporter pour
faire cesser la crise en cours dans ces régions du Cameroun.
Face à l’intransigeance du pouvoir de Yaoundé, les organisateurs ont dû la repousser à deux reprises, à une date encore indéterminée. Les leaders religieux ne désespèrent pas de parvenir à organiser cette conférence avec l’Accord de Yaoundé. Contacté par Sputnik, Élie Smith, porte-parole de la conférence, a d’ailleurs précisé:
En attendant, sur le terrain, le conflit s’enlise. Vendredi 14 juin,
quatre policiers ont trouvé la mort au nord-ouest dans l’explosion d’une
mine, selon une information diffusée par le gouvernement camerounais.
D’après des détails fournis dans un communiqué, les quatre policiers ont
été tués lors du passage de leur véhicule de patrouille dans la
localité d’Eyumojock (sud-ouest), située non loin de la frontière
Cameroun-Nigeria.
De nouveaux décès qui viennent alourdir le lourd bilan de ce conflit et confirmer s’il en était encore besoin, le total échec de l’option militaire dans la résolution de cette crise qui déchire le Cameroun. Depuis le début de l’année, des voix s’élèvent pour dénoncer le silence international qui entoure ce conflit et réclamer une mobilisation diplomatique plus forte pour pousser les parties au dialogue.
Mais, depuis lors, plus rien et notamment en ce qui concerne le calendrier, les acteurs, le cadre et le menu des discussions.
«On a la nette impression que rien n’a bougé
depuis l’annonce. Tout le monde attendait du gouvernement qu’il décline
un calendrier indicatif, une ébauche de contenu et les modalités de
participation au dialogue après les consultations du Premier ministre
sur le terrain. Seulement, rien de tout cela n’a été fait. Ce qui faire
dire à certain que le pouvoir a tenté, à travers cette annonce,
d’atténuer la pression internationale qui montait à la veille de la
réunion informelle du Conseil de Sécurité de l’Onu en mai dernier [sur
la crise au Cameroun anglophone, ndlr]», commente Joseph Lea Ngoula,
analyste des questions sécuritaires et géopolitiques pour le cabinet
Orin consulting, spécialisé dans la gestion des conflits en Afrique, au
micro de Sputnik.
«Le langage du gouvernement a certes changé; on
n’est plus dans une logique d’intimidation ou de ridiculisation des
revendications anglophones. Le nouveau Premier ministre se montre assez à
l’écoute et plutôt humble dans son approche. Cependant, on a
l’impression que le gouvernement du Cameroun dialogue avec lui-même et
ses partenaires. Jusqu’ici, le Premier ministre a reçu quelques chefs
traditionnels et autres, mais il n’a pas encore entamé une rencontre
avec les acteurs dissidents eux-mêmes; que ce soient les corporations
d’avocats et d’enseignants (à la base des revendications des
anglophones) ou les mouvements sécessionnistes, les dissensions
s’observent encore de jour en jour», constate le politologue.
Alors que le conflit a déjà fait 1.850 morts (civils, militaires et miliciens) après 20 mois d’affrontements, avec à la clé 530.000 déplacés internes et 35.000 réfugiés au Nigeria voisin, selon l’ONG International Crisis group, la solution politique visant à ouvrir un dialogue entre les belligérants coince. Pourquoi?
«Au niveau politique, je pense que le pouvoir
redoute l’ouverture d’un dialogue qui pourrait très rapidement virer sur
d’autres revendications. Les séparatistes anglophones, tout comme la
société civile au Cameroun, pourraient bien profiter de cette initiative
pour glisser d’autres agendas qui n’ont pas nécessairement pour
ambition de ramener la paix dans les régions en crise, à l’instar des
questions autour du départ de Paul Biya à la tête du pays. Au niveau de
la perception, le pouvoir ne souhaite pas envoyer à l’opinion publique,
mais aussi à ses adversaires politiques, des signaux de faiblesse
montrant qu’il aurait capitulé devant la pression des séparatistes et de
la communauté internationale. Reste également à trouver des
interlocuteurs crédibles avec qui engager les discussions, puisque
Yaoundé se refuse à négocier avec les leaders autoproclamés d’Ambazonie,
qu’il a embastillés», analyse pour Sputnik Joseph Lea Ngoula.
«Vous avez d’un côté un gouvernement qui refuse
l’ouverture et de l’autre des sécessionnistes qui sont considérés comme
des extrémistes. Vous n’avez qu’à voir le traitement qui a été réservé à
Sisiku Ayuk Tabe, traité de traître et vilipendé par certains groupes
séparatistes, après son offre de dialogue au gouvernement camerounais.
Dans ce jusqu’au-boutisme des deux côtés, on voit encore mal quelle
forme prendra ce dialogue-là. Si le dialogue consiste bien à se parler,
pour l’instant les agendas et réactions des différentes parties
participent essentiellement de la surenchère», commente-t-il au micro de
Sputnik.
«Le pouvoir de Yaoundé n’est pas prêt à accéder
aux exigences de Ayuk Tabe, qu’il juge fantaisistes, car y accéder
équivaut pour le régime en place à renoncer à une partie de sa
souveraineté et à son autorité sur cette partie du territoire. De
surcroît, ce serait aussi donner l’opportunité aux forces séparatistes
dans la région de se reconstituer et de consolider leurs effectifs le
temps de la discussion. Ce qui, d’un point de vue opérationnel, est
inenvisageable pour les autorités administratives et militaires. Ces
exigences apparaissent donc comme des éléments pouvant freiner le
dialogue; elles donnent de surcroît des arguments au camp gouvernemental
sur le fait que les séparatistes seraient favorables au maintien d’un
certain statu quo et donc pas du tout enclins à dialoguer», commente
l’analyste des conflits.
Après l’échec de la solution militaire, l’option d’un «dialogue inclusif» est désormais avancée par Yaoundé:
«Chacun dit appeler au dialogue; et le terme
consacré ici, c’est bien un dialogue inclusif, à savoir un dialogue qui
inclut le plus grand nombre d’acteurs concernés par la question:
parlementaires, chefs traditionnels (représentants des populations),
partis politiques, associations et représentants du Gouvernement. La
principale pomme de discorde, me semble-t-il, est au niveau de la
participation des sécessionnistes armés. Si certains estiment qu’ils
doivent y participer parce qu’on ne dialogue qu’avec les ennemis,
d’autres dans l’opinion pensent qu’il est impossible de dialoguer avec
les gens qui ont pris les armes contre la patrie. Mais si Paul Biya a
mis sur pied un comité de désarmement, de remobilisation et de
réinsertion, c’est bien dans une logique de discussion avec ceux qui ont
pris les armes, parce qu’en les excluant de la phase de négociations,
on n’aura jamais une solution à cette crise», affirme pour sa part
Moussa Njoya au micro de Sputnik.
Face à l’intransigeance du pouvoir de Yaoundé, les organisateurs ont dû la repousser à deux reprises, à une date encore indéterminée. Les leaders religieux ne désespèrent pas de parvenir à organiser cette conférence avec l’Accord de Yaoundé. Contacté par Sputnik, Élie Smith, porte-parole de la conférence, a d’ailleurs précisé:
«Nous n’avons pas encore arrêté de nouvelle
date précise, mais le menu n’a pas changé. Le but de cette conférence
est de réunir les fils du Nord-Ouest et du Sud-Ouest pour leur poser
deux questions simples: quelles sont les causes de ce conflit et quelles
sont les solutions, afin qu’eux-mêmes les proposent et que nous les
remettions au Chef de l’État. Parce que c’est lui qui doit prendre des
dispositions pour la résolution de ce problème, qui est un problème
national et qui ne peut pas être résolu de manière isolée»,
détaille-t-il avant de poursuivre:
«Au sujet des pourparlers annoncés par le
gouvernement, nous n’avons pas encore été contactés. Nous félicitons
néanmoins le Gouvernement d’avoir compris que la solution à ce conflit
est la voie du dialogue. En tant que religieux, nous encourageons aussi
l’amour; parce que quand il y a l’amour, il y a le pardon, quand il y a
le pardon, il y a la justice. Et quand il y a la justice, il y a la
paix.
Si nous sommes sollicités, nous n’allons pas
décliner l’offre, nous allons apporter notre contribution et dans la
vérité. C’est le peuple qui doit dire leurs préoccupations et non un
groupe d’élites assis quelque part et qui décide pour l’avenir du
peuple», souligne le porte-parole de la Conférence générale des
anglophones.
Au moment où la cacophonie persiste dans la recherche d’une solution
politique, notamment les contours du dialogue annoncé, Joseph Lea Ngoula
pense que le gouvernement de Yaoundé gagnerait à favoriser la tenue de
cette initiative des religieux pour plusieurs raisons:
«La tenue de cette conférence revêt une
importance particulière actuellement, puisque ce serait l’occasion pour
le pouvoir d’identifier les acteurs avec qui il pourrait entamer le
dialogue tant attendu sur le plan national et international. Elle
permettra aussi de discuter et de présenter les éléments clés à
l’origine de cette crise, parce que les choix opérés jusqu’ici par
Yaoundé donnent l’impression que le problème central de cette crise n’a
pas été bien cerné. Cette conférence pourra permettre d’écouter les uns
et les autres et de souligner toutes les revendications, afin
d’identifier les pistes de solution aux problèmes sociopolitiques
rencontrés dans cette région et d’affaiblir par la même occasion l’aile
séparatiste extrémiste», affirme le spécialiste des conflits.
Si Moussa Njoya, pense aussi que cette conférence a plus de chance
d’être organisée dans le contexte actuel, il demeure nuancé sur son
efficacité possible.
«Je pense que les chances de la tenue de la
conférence sont plus importantes que par le passé, car actuellement,
d’un côté le gouvernement subit beaucoup de pressions de la part de la
communauté internationale, de l’autre côté vous avez les populations
anglophones qui sont de plus en plus fatiguées par cette situation de
conflit.
Mais on ne peut pas encore s’avancer sur
l’efficacité de cette conférence. Parce qu’on ne connaît pas encore les
participants, on ne connaît pas les résolutions qui seront prises à
l’issue de cette conférence. Tout dépendra de la qualité des acteurs qui
vont y participer. L’efficacité de ce type d’initiative dépend de la
légitimité des acteurs qui seront présents», conclut-il au micro de
Sputnik.
De nouveaux décès qui viennent alourdir le lourd bilan de ce conflit et confirmer s’il en était encore besoin, le total échec de l’option militaire dans la résolution de cette crise qui déchire le Cameroun. Depuis le début de l’année, des voix s’élèvent pour dénoncer le silence international qui entoure ce conflit et réclamer une mobilisation diplomatique plus forte pour pousser les parties au dialogue.