
Pour la première fois depuis le début du mouvement de protestation, des
syndicats et des associations
ont réussi à trouver un consensus pour une
sortie de crise.
Très attendue, la première Conférence
nationale des dynamiques de la société civile réunie samedi 15 juin à
Alger est parvenue à un texte commun. Ces collectifs, associations et
syndicats autonomes algériens, d’idéologies très différentes, ont adopté
un cadrage « pour une sortie de crise et une transition démocratique ». Le document s’accorde sur la nécessité d’« une période de transition allant de six mois à un an », l’installation d’une « commission indépendante pour diriger, organiser et déclarer les résultats des élections » ; le but étant d’aller « vers une nouvelle République ».
Après plusieurs mois de discussions, alors que les Algériens manifestent chaque semaine depuis le 22 février
et demandent un changement de régime, les travaux de cette centaine de
personnes réunies dans un local syndical sont une étape importante.
Trois
grands groupes étaient présents dans cette assemblée d’une centaine de
personnes : la Confédération des syndicats autonomes, qui regroupe
treize syndicats et des groupements professionnels ; le Forum civil pour
le changement, composé de 70 associations locales et nationales ; et le
Collectif de la société civile, qui réunit une vingtaine
d’organisations et de syndicats. Ce qui rend le consensus obtenu
totalement inédit. « Depuis l’Indépendance, ça n’était jamais arrivé d’avoir toutes ces tendances autour d’une table », explique Hakim Addad, membre du Réseau action jeunesse (RAJ).
Négociations tendues
Le
texte adopté est le fruit de négociations tendues, notamment sur la
modalité de sortie de crise. Il y a quelques semaines, le Forum civil
défendait coûte que coûte une élection présidentielle et une transition
sous moins de six mois, tandis que le Collectif de la société civile
souhaitait, lui, une modification de la Constitution. « Le fait que
le texte d’aujourd’hui ne mentionne pas d’élection présidentielle et
évoque une transition est une grande évolution », souligne Nacer Djabi, sociologue, qui a suivi les discussions.
Dans la salle de réunion, le débat a été long et âpre. « La feuille de route pose question, pense Nadia Djadour, représentante du Snapap, un syndicat autonome. On
parle de désigner une commission pour organiser les élections, mais qui
désigne ? L’armée ? On fait des concessions dès le début, alors que,
dans des négociations, il faut commencer par viser haut », soupire-t-elle. « L’Algérie a besoin d’un président qui gère le pays », estime,
pour sa part, Medjamia Bencherfi, représentant de l’Union nationale des
personnels de l’éducation et de la formation (Unpef). Pour lui, « parler de période de transition implique de prendre beaucoup de temps, car il faudra de longs débats ».
Aussi historique soit-il, l’accord signé a évidemment fait des déçus. « Tu as vu comme ils essaient de revenir en arrière ? », lance un participant, membre du Collectif de la société civile, qui prévient que « les démocrates ont toujours été les cocus de l’histoire ».
Avant
l’ouverture du débat, déjà, la tension était montée. Vendredi soir, le
réseau Wassila, qui regroupe des organisations pour les droits des
femmes, annonçait son retrait de la Conférence, car celle-ci « ne pose pas clairement et sans ambiguïté ce principe politique fondamental et non négociable » de l’égalité entre hommes et femmes. Le texte adopté par cette Conférence nationale affirme finalement que « la
réussite de ce processus politique implique la préparation d’un climat
général favorable à la pratique des droits, des libertés collectives et
individuelles, des droits de l’homme ». Et cette mention de « libertés individuelles » a dû faire l’objet de négociations.
Nécessité d’une rupture
« Les
syndicats sont conservateurs. Ils reflètent la société algérienne. Ils
sont issus de la classe moyenne et ils viennent de tout le pays, pas
uniquement des grandes villes », explique le sociologue Nacer Djabi. A l’inverse, certaines associations sont de tendance démocrate et laïque. « Sur les principes, nous n’arriverons jamais à nous convaincre les uns les autres, reconnaît Abdelmoumène Khelil, membre du Collectif des jeunes engagés. Mais nous sommes d’accord sur la nécessité d’une rupture. »
Et
samedi, d’autres avancées ont aussi eu lieu en direct… Alors que les
discussions des dernières semaines n’avaient pu conduire à un consensus
pour rendre hommage à Kamel-eddine Fekhar, militant de la région de Ghardaïa, décédé le 28 mai dernier,
après une grève de la faim alors qu’il était en détention provisoire,
cette fois, un représentant d’un réseau d’associations humanitaires,
Tarek Hadjoudj, a saisi le moment. « Il fallait en parler, estime le médecin de 37 ans. Nous
travaillons aussi sur le changement de mentalités au sein de la société
civile. Le système en place a instillé de la haine entre nous sous
prétexte de l’unité nationale. »
Les organisations participantes doivent maintenant discuter des préalables à l’ouverture de discussions avec les autorités. « On a encore du travail, mais on a montré qu’on pouvait continuer ensemble », estime Hakim Addad.
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La
démission du président algérien Abdelaziz Bouteflika, le 2 avril, est
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personnes dans les rues pour exprimer leur opposition à un cinquième
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Par Le Monde