FIGAROVOX/TRIBUNE - Le ministre iranien
des Affaires étrangères, Javad Zarif, a annoncé que le
pays signera une
coopération stratégique avec la Chine pour une période de 25 ans. Cette
annonce est pourtant loin de faire l’unanimité au sein de son propre
pays, décrypte Mahnaz Shirali, enseignante à Sciences Po.
Les Iraniens sont abasourdis depuis que
leur ministre des Affaires étrangères, Javad Zarif, a annoncé au
Parlement que sur l’ordre du Guide de la Révolution, Ali Khamenei, il
est en train de finaliser la négociation avec les Chinois.
Le
16 juillet 2020, on apprend que Téhéran et Pékin vont signer un accord
pour une période de 25 ans. En contrepartie d’un pétrole et d’un gaz à
faible coût (-32%), Pékin investirait 400 milliards de dollars dans
l’économie iranienne. Les informations filtrent difficilement car entre
ces deux pays tout se déroule à huis clos. À dire vrai, la transparence
n’a jamais été la singularité de la diplomatie de Téhéran ni de Pékin.
À
l’intérieur de ses frontières également, le régime aura du mal à
étouffer les contestations populaires, qui deviennent de plus en plus
importantes.
La République
islamique d’Iran est en situation de faiblesse et ce qui laisse sa
population craindre le pire. Les sanctions américaines ont complètement
vidé les caisses de l’État iranien qui, désormais, ne peut plus compter
sur ses mercenaires régionaux - le Hezbollah du Liban et le Hach
al-Chaabi, le Hamas, … - afin de tenir tête à ses ennemis de toujours:
les Américains et les Israéliens. À l’intérieur de ses frontières
également, le régime aura du mal à étouffer les contestations
populaires, qui deviennent de plus en plus importantes. Cette «grande
puissance», qui jusqu’alors gardait le silence sur les attaques
systématiques des Israéliens sur ses bases militaires en Syrie et au
Liban, désormais ne peut même pas riposter aux cyber attaques
israéliennes sur le site nucléaire de Natanz et le complexe militaire de
Parchin, situés tous les deux au centre de l’Iran.
Les
ayatollahs qui se veulent les représentants de Dieu sur terre n’ont
donc pas d’autre choix que de se jeter dans les bras des communistes
chinois, afin de sauver leur pouvoir, tout en comptant sur la
bénédiction de leurs alliés Russes.
De
toute évidence, la signature d’un tel traité ne pouvait se faire
qu’avec la bénédiction de Vladimir Poutine qui à son tour obtient le
renouvellement d’un autre traité de 20 ans, en accordant à son pays
d’innombrables privilèges commerciaux et militaires, en contradiction
totale avec la Constitution de la République islamique qui interdit à
l’État iranien d’autoriser un pays étranger à bénéficier des
installations militaires sur le sol iranien.
La signature de ce traité rappelle aux Iraniens le mauvais souvenir du traité de 1919 à l’époque des Qajars.
Tout
cela au grand désespoir du peuple. Pendant quarante ans, il a vu la
richesse nationale rafler par les kleptocrates des ayatollahs, et
maintenant c’est le pays qui va être bradé aux Russes et aux Chinois.
La
signature de ce traité mystérieux avec la Chine et le renouvellement du
traité militaire de 20 ans avec les Russes, rappellent aux Iraniens le
mauvais souvenir du traité de 1919 à l’époque des Qajars. Ce fameux
traité qui divisait l’Iran entre les Russes et les Anglais a suscité la
contestation des grandes puissances étrangères de l’époque et la colère
du peuple qui le considérait comme une honte nationale. Finalement, le
parlement iranien n’a pas ratifié le traité.
La
politique étrangère des ayatollahs, particulièrement belliqueuse envers
les États-Unis et Israël - avec les slogans percutants: «marg bar Amrika» (à bas les États-Unis), «marg bar Esrail»
(à bas Israël) - a coûté cher aux Iraniens. Si les dépenses de Téhéran
dans les conflits de la région relèvent du secret d’État, selon le
ministère des Affaires étrangères américain, la seule présence militaire
dans la guerre en Syrie coûte quelques seize milliards de dollars par
an aux Iraniens. De la Syrie au Yémen, en passant par le Hezbollah au
Liban et l’Irak, Téhéran est pratiquement mêlé à tous les conflits qui
embrasent la région avec de lourds investissements qui ont fortement
appauvri le pays. Les sanctions américaines, accompagnées de lourdes
attaques israéliennes, ont eu pour résultats d’affaiblir cette présence
militaire iranienne dans la région, poussant une grande partie des
soldats des ayatollahs hors de l’Irak et de la Syrie.
Les
intérêts nationaux des Iraniens n’ont jamais été pris en compte par
leurs dirigeants dont la logique échappe à tout observateur qui cherche à
comprendre pourquoi la République islamique investit tant dans les
affaires des pays voisins, alors que l’Iran est en banqueroute.
De toute leur longue histoire, les Iraniens ne se sont jamais sentis si seuls et abandonnés de la communauté internationale.
Les difficultés commencent à partir du moment où les Iraniens ne sont pas autorisés à donner leur avis. Pas
plus tard qu’en novembre 2019, lorsqu’ils se sont opposés à
l’augmentation de 300% du prix de l’essence, quelques 1500 personnes ont
été assassinées dans les rues iraniennes en moins de trois jours,
dans une totale indifférence de la communauté internationale. En
revanche, beaucoup dans les États démocratiques se sont émus de
l’élimination en Iraq d’un terroriste avéré par les Américains, Ghasem
Soleimani. Il a été le conseillé spécial de Bashar Al-Assad, le
président syrien, et avait le sang de plus de 500 000 Syriens et
beaucoup d’Iraniens sur les mains. De fait, de toute leur longue
histoire, les Iraniens ne se sont jamais sentis si seuls et abandonnés
de la communauté internationale.
À
l’heure actuelle, on ignore le contenu exact du traité
militaro-commercial avec la Chine, mais l’isolement de la République
islamique sur le plan international et son mépris pour les intérêts
nationaux du pays, ne lui permettent pas de protéger le pays de la
convoitise des Russes et des Chinois, et cela inquiète profondément les
Iraniens. La plupart d’entre eux pensent être des témoins impuissants
face à la signature d’un traité qui sera bientôt considéré comme une
nouvelle honte nationale.
Par Mahnaz Shirali
Le Monde.fr