
Troisième homme des élections du 8 mai, le leader de gauche radicale
pourrait doubler son score de
2014, devenant un partenaire de coalition
incontournable dans certaines provinces.
L’enfant terrible de la politique sud-africaine se serait-il assagi ?
Dans ses spots de campagne, Julius Malema, tout sourire en
costume-cravate, entouré de drapeaux et d’une bibliothèque de livres,
fait « présidentiable ». Adieu le béret et le tee-shirt rouges, ainsi
que les kilos en trop ; le leader populiste de gauche radicale apparaît
métamorphosé. Aux élections générales de ce mercredi 8 mai, celui que
l’on prenait pour un clown lorsqu’il a lancé son parti des Combattants
pour la liberté économique (EFF), il y a six ans, arrive en position de
force : d’après les derniers sondages, il devrait au moins doubler son
score de 2014, quand il avait recueilli 6,35 % des suffrages.
Encombrant
et incontrôlable, l’ancien président de la ligue des jeunes du Congrès
national africain (ANC, au pouvoir), expulsé de la formation en 2012
pour insubordination, veut faire des EFF un parti de gouvernement. Et le
troisième homme du scrutin, après le président Cyril Ramaphosa pour
l’ANC et Mmusi Maimane pour l’Alliance démocratique (DA, libéral), est
bien parti pour se retrouver en position de faiseur de roi dans
plusieurs provinces, dont celles du Gauteng, qui englobe la métropole
économique, Johannesburg, et la capitale, Pretoria.
En
six ans, le rouge s’est durablement implanté dans le paysage politique
sud-africain. Au Parlement, les députés EFF, Malema en tête, ont
ferraillé dur contre le gouvernement de Jacob Zuma. En venant parfois
aux mains, ils n’ont cessé de vociférer contre les affaires de
corruption visant l’ancien président, scandant « Rends l’argent ! » à chacune de ses apparitions.
Soupçons de corruption
Le
spectacle n’aura duré qu’un temps. Depuis que Jacob Zuma a quitté le
pouvoir, en février 2018, les EFF eux-mêmes sont rattrapés par les
affaires. Plusieurs lieutenants de Malema seraient impliqués dans le
pillage de la banque sud-africaine VBS, qui a fait faillite l’année
dernière. Julius Malema lui-même a des démêlés avec le fisc et est
soupçonné de corruption dans l’attribution de marchés publics dans la
province du Limpopo, dont il est originaire.
Croisée à Seshego, le township de son enfance, près de Polokwane, c’est sa propre cousine qui le dit. « Les EFF viennent de l’ANC, qui est corrompu jusqu’à la moelle. Ce sont les mêmes personnes. Ça vous étonne ? », demande Rosina Sinyokasi, 24 ans. Elle donnera son vote à l’ANC : « J’adore mon cousin, mais il manque encore de maturité. »
Dans son quartier, la maison où il a grandi avec sa grand-mère (décédée
le 4 mai), est la plus belle des environs. A 38 ans, Julius Malema est
le nabab local : on vient le voir pour les petits soucis d’argent, pour
aider à financer les enterrements. « Il passe très souvent, il est
très respecté ici. Les EFF aident tout le monde, ils donnent des
couvertures aux grands-mères l’hiver », explique Herman Leboyo, un jeune du quartier.
Là
où la ligue des jeunes de l’ANC était un joyeux bazar, les EFF sont une
organisation soudée que Malema tient d’une main de fer : lors de ses
déplacements, son service d’ordre en tenue de camouflage estampillée
« DOR » (« défenseurs de la révolution ») veille au grain. Dans ses
meetings, il use et abuse de la provocation, son arme politique fétiche,
notamment avec ses tirades anti-Blancs. Poursuivi à plusieurs reprises
pour « incitation à la haine raciale », Malema aime entretenir la
confusion. « Les Blancs savent très bien qu’on ne va pas les tuer », déclamait-il encore fin avril. Lui qui, il y a quelques années, entonnait « Kill the Boer » avec ses partisans, termine son discours en chantant « Kiss the Boer ».
« Les Blancs ont peur de l’égalité »
Dans les travées du stade du township d’Alexandra où ils sont venus voir « Juju » le 1er mai, ses supporteurs rassurent : « Tout
son discours sur les Blancs est une blague. On ne peut pas faire sans
eux. S’ils me donnent leur terre, j’en ferai quoi ? Je préférerais
qu’ils me donnent un travail », explique Dumisami Ngone, 43 ans. On
dit qu’il séduit surtout les jeunes Noirs sans emploi des townships,
mais à Alexandra, tous les âges sont représentés.
En plus de taper sur les Blancs et l’ANC, où il va chercher ses voix, il déroule son programme, qui tient en un mot : « partager ». « Les Blancs me font passer pour un criminel et un lunatique, mais ils ont surtout peur de l’égalité », explique-t-il. Autoproclamé « commandant en chef des pauvres », il promet des emplois, des logements et l’éducation gratuite. « L’ANC
ne veut pas que vous soyez éduqués. Ils préfèrent vous maintenir dans
l’ignorance, comme ça ils vous donnent des aides et vous, vous les
maintenez au pouvoir », dit-il.
Il
promet surtout la terre. Sa mesure phare, l’expropriation sans
compensation, a d’ailleurs été récupérée par l’ANC, preuve de
l’influence qu’il conserve sur le parti au pouvoir, ou plutôt de la
menace qu’il représente. Après le 8 mai, va-t-il s’associer avec la DA
pour faire tomber l’ANC dans quelques provinces, ou avec son ex-parti ? « Ma
condition préalable pour n’importe quelle coalition sera d’abord qu’ils
viennent enlever toutes les ordures des townships. Vous me direz s’ils
l’ont fait, et ensuite on parlera », promet-il aux habitants d’Alexandra. Un populiste en grande forme.