
rivales jugées plus à même de lutter contre le terrorisme, observe notre chroniqueur.
Chronique. Confrontée depuis un mois à une offensive
brutale des troupes du maréchal Khalifa Haftar, une partie de la
population de Tripoli, en Libye,
conspue la France, accusée de duplicité. On pourrait considérer que
Paris est un bouc émissaire facile pour les partisans du gouvernement de
Fayez Al-Sarraj, reconnu par la communauté internationale mais
incapable de ramener la paix dans son pays. Ce serait toutefois négliger
qu’ils pointent peut-être là une attitude que la France a déjà adoptée
ailleurs. De fait, comme au Mali, Paris joue un double jeu en Libye, et cela depuis des années.
Ce
double jeu a éclaté au grand jour dans l’est du pays, il y a près de
trois ans. Le 17 juillet 2016, un hélicoptère transportant trois
sous-officiers français s’écrasait dans la région de Benghazi, le fief
de Khalifa Haftar. Rapidement, et contrairement aux usages habituels
(sans doute pour éteindre les rumeurs), le ministère français de la
défense reconnaissait leur mort dans un communiqué laconique, précisant
que les trois hommes étaient « en service commandé ». En clair, il s’agissait d’agents du service action de la DGSE, le renseignement extérieur français.
Fureur
à Tripoli, car au même moment des soldats des forces spéciales
françaises œuvraient aux côtés des troupes du gouvernement légal, lequel
ignorait tout des agissements de la DGSE dans l’est. Le Commandement
des opérations spéciales (COS) fut alors obligé de « démonter »
dans l’urgence son dispositif, comme le confiait par la suite l’un de
ses hauts responsables*. Autrement dit, de plier bagage. Cet épisode
provoqua aussi de fortes tensions à Paris, où le COS reprochait à la
DGSE, dirigée alors par Bernard Bajolet, de faire cavalier seul dans une
totale opacité.
Choix stratégique
Malgré
ces poussées de fièvre récurrentes, Paris n’a pas vraiment d’états
d’âme et assume ce double jeu, dicté par les circonstances. Face à la
montée en puissance du groupe Etat islamique (EI) dans l’est de la
Libye, la France a fait un choix stratégique depuis plusieurs années.
Elle s’est résolue à soutenir discrètement Khalifa Haftar pour tenter de
réduire la menace terroriste.
Après le succès de
l’opération « Serval » au Mali en 2013, Jean-Yves Le Drian, alors
ministre de la défense et aujourd’hui aux affaires étrangères, a
longtemps fait pression, y compris publiquement, pour qu’une action
armée soit menée contre les groupes armés installés dans le sud de la
Libye, mais aussi sur les rives de la Méditerranée. Sans succès : après
l’intervention militaire de 2011, qui s’est soldée par la mort de
Mouammar Kadhafi, impossible d’obtenir l’aval du Conseil de sécurité de
l’ONU, notamment des Russes, furieux.
Toutes
choses égales par ailleurs, ce double jeu français – soutien aux
autorités légales, appui à des forces rivales jugées capables de
contribuer à la lutte antiterroriste – n’est pas sans rappeler ce qui se
passe au Mali depuis des années. En janvier 2013, Paris avait justifié
l’opération « Serval » par la volonté d’aider le gouvernement de Bamako à
recouvrer l’intégralité de son territoire, dont les deux tiers étaient
tombés sous le contrôle de groupes djihadistes et touareg séparatistes.
Cette opération fut rondement menée : en quelques mois, Paris put clamer
victoire et remettre les clés du pays au gouvernement, dirigé depuis
l’été 2013 par Ibrahim Boubacar Keïta.
Effet boomerang
Mais
des tensions ont rapidement fait leur apparition entre les deux alliés.
Nul n’ignore à Bamako que dans l’extrême-nord du Mali, l’armée et les
services de renseignement français s’appuient sur des réseaux touareg
pour traquer les chefs djihadistes qui ont réussi à passer entre les
mailles des opérations « Serval » puis « Barkhane » (depuis 2014) et
pour tenter de retrouver la trace d’otages français. Or, bien plus que
des groupes djihadistes perçus comme une menace exogène et
conjoncturelle, ces groupes touareg qui cherchent à s’émanciper de la
tutelle de Bamako depuis l’indépendance du Mali, en 1960, représentent
le principal danger aux yeux des autorités locales.
Ces
différences d’appréciation et d’agenda sont reléguées au second plan
quand, sur le terrain, les choses se passent bien, le processus de
stabilisation politique progresse et la lutte antiterroriste marque des
points. Mais dès que la situation se détériore, comme c’est le cas
notamment dans le centre du Mali, les tensions réapparaissent. Tel un
effet boomerang, l’opinion demande alors des comptes à l’allié étranger,
dont l’action n’apparaît plus très lisible et qu’on soupçonne de tout
et son contraire. Début avril, quelques jours après un terrible massacre
commis par des milices dogon contre des civils peuls dans la localité
d’Ogossagou, des milliers de personnes ont manifesté à Bamako contre le
gouvernement, mais aussi contre la France.
Soutien
aux séparatistes touareg dans le nord, passivité face aux massacres
commis dans le centre du pays ? Cela fait beaucoup pour un seul et même
acteur. Mais cette confusion à Bamako, entretenue localement par ceux
qui souhaitent le départ des soldats de « Barkhane », résulte aussi de
la partie complexe que Paris joue au Mali, comme en Libye, en soutenant
un processus chaotique de stabilisation politique tout en poursuivant
sans relâche la lutte contre la menace terroriste.