En Afrique, les
coups d’État «classiques» n’ont plus la cote. Des considérations
internes et régionales
ont poussé à une véritable mutation génétique des putschs, si bien qu’on assiste, après les «coups d’État parenthèses» à des «coups d’État populaires», qui s’efforcent d’être «légaux». (Partie 1/2 de l'enquête sur les Coups d’État en Afrique).
ont poussé à une véritable mutation génétique des putschs, si bien qu’on assiste, après les «coups d’État parenthèses» à des «coups d’État populaires», qui s’efforcent d’être «légaux». (Partie 1/2 de l'enquête sur les Coups d’État en Afrique).
Aussi
paradoxal que cela puisse paraître, le coup d’État militaire du 11
avril au Soudan appelle un constat limpide: celui d’une nette régression
des pronunciamientos «classiques» en terre africaine.
Et si les putschs, annoncés à une population distraite et résignée
par quelque jeune officier, promu des années plus tard
Président-maréchal-fondateur, quand il ne sera pas carrément intronisé
empereur, n’ont plus le vent en poupe, c’est qu’ils n’ont pas été
insensibles à celui du changement. Les derniers déménagements «réussis»
de Présidents n’ont en effet pas été accomplis sans certains
ménagements: le manu militari n’intervient qu’en appui de remous
suffisamment graves, en tant que porte-voix, invoqué ou autoproclamé,
d’une doléance populaire, particulièrement pressante. C’est en agissant
en dernier ressort que les nouveaux putschs tireront toute leur
légitimité. Pour cela, plutôt que la table rase, ils essaieront
d’emprunter la voie légale. Mais avant même de retrouver cette mouture
actuelle, les putschs africains ont d’abord amorcé un certain
changement, perceptibles depuis une dizaine d’années, à travers «les
coups d’État parenthèses.»
«Les coups d’État-parenthèses» de la décennie 2010
Il
faut sans doute remonter à plus d’une dizaine d’années pour retrouver
un exemple-type de coup d’État classique abouti, à savoir un putsch
militaire perpétré dans un contexte de crise, mais sans sollicitation
populaire en amont, en faisant la table rase des institutions sur place,
à travers l’instauration d’une structure militaire ad hoc, tout en
s’inscrivant dans la durée. À partir du début de la décennie, une
transmutation des coups d’État classiques s’est amorcée en sacrifiant la
variable de la durabilité. C’est ainsi que le continent a connu une
série de «coups d’État parenthèses», dont la vocation, et/ou la
conséquence a été la transmission du pouvoir à brève échéance aux civils
à travers l’organisation d’une élection présidentielle.
Le Niger a ouvert le bal avec le coup d’État militaire du commandant
Salou Djibo, qui s’autoproclame en février 2010 président du «Conseil
suprême pour la restauration de la démocratie». Ce putsch contre le
pouvoir d’Ahmadou Tandja est venu sanctionner une grave crise
institutionnelle et politique. Moins d’une année plus tard, en janvier
2011, une élection présidentielle est organisée, qui voit la victoire de
Mahamadou Issoufou, réélu en 2016.
Un peu plus à l’ouest, c’est dans le contexte de la guerre du Mali
que survient le coup d’État du capitaine Amadou Sanogo, de mars 2012.
Celui-ci suspend alors la Constitution en mettant en place un «Comité
national pour le redressement de la démocratie et la restauration de
l’État». Une période de transition est organisée moins d’un mois plus
tard, mais sans que les putschistes ne se désintéressent complètement de
la gestion des affaires. Il a fallu attendre l’organisation de la
présidentielle de l’été 2013 pour voir le pouvoir définitivement remis
aux mains des civils: Ibrahim Boubacar Keïta remporte l’élection
présidentielle, avant d’être réélu en 2018.
Le coup d’État de la Guinée Bissau fut presque concomitant avec le
putsch du capitaine Sanogo, au Mali, avec une période de transition un
peu plus longue, encore que l’interférence des militaires s’y fit moins
importante que dans le cas malien. La transition fut confiée au
président de l’Assemblée nationale populaire, Manuel Serifo Nhamadjo,
qui l’accepta en rechignant et une élection présidentielle est organisée
en 2014.
Enfin,
il convient de ranger dans la même catégorie des «coups
d’État-parenthèses» le putsch du centrafricain Michel Djotodia, tombeur
du Président Bozizé —lui-même putschiste-. Au bout de 10 mois, la guerre
civile centrafricaine faisant rage, le chef de la rébellion Séléka dut
s’effacer au profit de la transition de Catherine Samba-Panza.
Le développement des «putschs-parenthèses», témoigne d’autant plus de
la fin des coups d’État classiques, tels que décrits ci-dessus, que
toute tentative de reproduire les schémas classiques se trouve
immanquablement vouée à l’échec, quand elle n’est pas franchement
raillée. C’est le cas des «coups d’État les plus bêtes du monde», une
catégorie sui generis témoignant de toute la difficulté à ressusciter
aujourd’hui des réminiscences de l’Afrique post-coloniale. Les coups
d’État classiques n’ont finalement bénéficié que d’une courte période de
sursis dans la foulée des conférences nationales souveraines du début
des années 90. Durant cette période de fluctuations, les coups d’État
classiques restaient presque tolérés, en tant que «droit acquis» de
l’ère des blocs, quand au nom de la théorie des rideaux de fer
africains, on justifiait, facilitait ou télécommandait, les coups d’État
dans le continent noir.
Les raisons de la transmutation: sanctions internationales et levée de boucliers citoyens
La régression des coups d’État coïncide sans doute avec une
imprégnation continentale de la culture démocratique, particulièrement à
travers deux instruments. La branche institutionnelle, comprend surtout
le Conseil de paix et sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA), devenu
opérationnel en 2004, et dont le rôle s’est sensiblement accru au fil
des années. Cet organe exécutif de l’UA dispose, selon l’article 7 de
son protocole constitutif, et conjointement avec le président de la
commission de l’UA, du pouvoir d’imposer « des sanctions chaque fois
qu’un changement anticonstitutionnel de gouvernement se produit dans un
État membre ».
Vers
la fin de la première décennie du millénaire, il a eu à appliquer
systématiquement des sanctions consistant à suspendre l’État membre,
avec éventuellement des gels d’avoirs ou des interdictions de voyager
contre les responsables des coups d’État. Cette procédure s’appliqua, à
titre d’exemple, fin 2009, contre les responsables du coup d’État
militaire en Guinée, avec des sanctions annoncées par le Commissaire
Paix et sécurité de l’UA de l’époque, Ramtane Lamamra, contre «quelques
dizaines de personnes en Guinée qui s'opposent au retour à l'ordre
constitutionnel».
L’ensemble de ces mesures rejoint souvent une palette de sanctions
internationales et mêmes régionales, à mesure que l’implication des
Communautés économiques régionales (CER) se fait plus forte dans le jeu
géopolitique africain. Dans le cas guinéen, c’est la CEDEAO, la
Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest, la plus intégrée des CER
africaines, qui décréta un embargo sur les armes contre Conakry.
«L’Union africaine s’est aperçue que les coups
d’État entraînaient plus une modification des régimes politiques sans
des lendemains qui chantent pour les populations. Il y a eu donc une
sorte d’entente, au sein des chefs d’État, dont certains sont arrivés au
pouvoir par des coups d’État, pour dire que les coups d’État sont
anticonstitutionnels et que si une personnalité politique, ou un régime
politique, s’orientait vers cette stratégie, la personne ou le régime
serait mis au ban de la Communauté africaine, d’abord, et
internationale, ensuite, avec éventuellement des sanctions», explique à
Sputnik Lucien Pambou, africaniste et professeur de sciences politiques.
Parallèlement à l’action institutionnelle, le développement d’une
conscience citoyenne, hostile notamment aux coups d’État, et
l’implication des sociétés civiles africaines dans les affaires
publiques sont au nombre des facteurs inhibiteurs des tentations
putschistes.
La réaction populaire suite à la tentative de coup d’État de
septembre 2015, au Burkina Faso, permet de prendre la mesure de cette
nouvelle donne. Avant même que tombent les sanctions de l’Union
africaine, que s’engage la médiation de la CEDAO, ou que s’organise la
contre-attaque des militaires loyalistes, les putschistes du Régiment de
sécurité présidentiel (RSP) avaient dû faire face à une forte
résistance populaire. Malgré l’instauration d’un couvre-feu par les
putschistes, des milliers de Burkinabè hostiles à ce coup de force
avaient manifesté dans plusieurs villes du pays. Le bilan de la
répression des manifestations fit état de 11 morts et de 271 blessés
dans le pays.
Quoique cette résistance fut facilitée par le contexte
d’effervescence révolutionnaire de l’époque, suite à la chute du régime
de Blaise Compaoré, il n’en demeure pas moins que la mobilisation de la
société civile et de la population en général est une constante avec
laquelle les putschistes doivent désormais compter.
L’émergence
de la société civile comme une force de frappe politique considérable
remonte au début de la décennie. La mobilisation des Sénégalais, fin
2011, contre la candidature controversée d’Abdoulaye Wade aura été
l’événement fondateur qui précipita d’autres contestations civiles en
Afrique, avec souvent une imprégnation par les mêmes méthodes et moyens
d’action.
«Il y a effectivement une prise de conscience
citoyenne grâce à un nouveau rôle de la société civile, qui n’est plus
cantonnée aujourd’hui à la simple observation, mais s’implique comme
actrice à part entière dans le processus démocratique et la
consolidation des acquis démocratiques. Ce rôle s’est accru à la faveur
de la démocratisation de l’accès à l’information. À titre d’exemple, les
radios privées au Burkina Faso ont joué un rôle important dans la
maturité de la conscience citoyenne. Il y a eu ensuite les nouvelles
technologies: Internet et réseaux sociaux, qui font que ce qui se passe
dans les autres pays est rapidement relayé», indique à Sputnik Cheikh
Fall, président du réseau Africtivistes, une ONG africaine qui milite,
notamment à travers Internet, pour la démocratie et la bonne
gouvernance.
«Les coups d’État populaires»… et si possible, légaux
C’est sans doute dans l’idée de contourner ces deux types de
contraintes —les sanctions de l’Union africaine et l’hostilité
citoyenne- que les nouveaux putschs ont entamé une nouvelle
transmutation, celle des «coups d’État populaires». Les
putschistes, —l’armée ou une partie de l’armée- n’interviennent ici
qu’en dernier recours, en exercitus ex machina, pour dénouer un blocage
politique, devant une mobilisation populaire assimilée à une révolution.
Pour ce faire, l’armée préfèrera —quand c’est possible- acculer un
Président récalcitrant à la démission, plutôt que de le déposer
franchement. Relativement nouvelle, cette technique s’est d’abord
exprimée en 2017 au Zimbabwe, puis en Algérie en avril 2018, alors qu’au
Soudan, le refus du Président de démissionner a contraint l’armée à le
démettre, manu militari, exposant ainsi le pays au spectre des sanctions
régionales.
«À notre peuple et au monde au-delà de nos
frontières, nous souhaitons que ce soit extrêmement clair: ceci n’est
pas une prise de pouvoir militaire», a asséné, le 15 novembre 2017, le
porte-parole de l’armée du Zimbabwé, Sibusiso Moyo, alors que le
Président Mugabe se trouvait en résidence surveillée, pressé de
présenter sa démission. La pirouette de l’armée zimbabwéenne, dont la
démarche pouvait pourtant répondre à la définition d’un coup d’État, fit
son effet auprès de l’Union africaine. Après un temps d’atermoiements,
l’organisation continentale conclut, à la suite de René Magritte, que
«ceci n’est pas un coup d’État».
Le
changement politique en Algérie, acté par la démission du Président
Abdelaziz Bouteflika à la suite d’une mobilisation populaire inédite de
plus de cinq semaines, est à rapprocher du cas zimbabwéen. L’appel du
chef d’État-major Ahmed Gaïd-Salah à l’application de l’article 102 de
la Constitution, sur la procédure d’empêchement, acte son «lâchage» du
Président, alors même qu’il faisait partie de ses indéfectibles
soutiens. Le précédent de 1992, la place historique de l’armée comme
gardienne du jeu politique dans ce pays, confèrent plutôt à cet «appel»
les accents d’un véritable ordre intimé par l’armée au Président de se
démettre, dans une tentative de calmer la rue et ses revendications
grandissantes. C’est à ce titre qu’il pourrait être qualifié de coup
d’État auquel a été simplement «contraint» l’état-major. Un putsch
«maquillé juridiquement», comme ont pu relever des opposants et
observateurs algériens. La démission du Président, retransmise à la
télévision nationale, se fit de façon nettement plus fluide que dans le
cas zimbabwéen, où la contrainte militaire s’était matériellement
manifestée. Si bien que le CPS, au demeurant sous influence algérienne,
n’eut à y redire, ni même à s’y pencher.
Ce ne fut pas le cas de l’armée soudanaise qui fut confrontée, devant
l’entêtement du Président Al-Bashir, à le démettre, alors que le
soulèvement populaire faisait rage depuis plusieurs mois. Toutefois,
après un premier délai de deux semaines données aux militaires pour
transmettre le pouvoir aux civils, le CPS a accepté de revenir sur cet
ultimatum et d’accorder une rallonge, inédite, de trois mois. Si le CPS a
pris en considération les recommandations du Président de la Commission
de l’UA et celles de la Troïka de l’UA, il semble aussi tenir compte la
forte mobilisation populaire à l’origine du coup d’État, ainsi que d’un
début d’entente entre militaires et civils pour la conduite des
affaires de la transition. À ce titre, la jurisprudence soudanaise du
CPS, et même sa mansuétude au Zimbabwe, préfigureraient, peut-être une
nouvelle tendance consistant pour cet organe de l’UA à prendre,
désormais en considération les cas d’exercitus ex machina, alors même
que la sanction avait été appliquée aveuglément lors de l’exercitus ex
machina égyptien, de l’été 2013.
Retrouvez la suite de notre enquête sur les coups d’État en Afrique dans l'article «Afrique: crises postélectorales stériles? Place aux (fausses) négociations démocratiques!»
Par sputnik