( Nairobi) – Les autorités camerounaises ont torturé et détenu au secret des personnes dans un centre
Le Conseil de
sécurité des Nations Unies devrait mettre la situation au Cameroun à son
ordre du jour, condamner la torture et la détention au secret et
appeler le gouvernement à mettre fin à ces pratiques, a déclaré Human
Rights Watch.
« Au cours de l’année passée, les forces de
sécurité au Cameroun ont recouru à la torture sans crainte de
répercussions », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique
centrale à Human Rights Watch. « Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait
envoyer un message clair indiquant que la cessation de la torture en
détention est capitale pour répondre à la crise dans les régions
anglophones. »
Human Rights Watch a documenté 26 cas de détention
au secret et de disparitions forcées au centre de détention du SED
entre janvier 2018 et janvier 2019, dont 14 cas de torture. Le nombre
total est probablement bien plus élevé, parce que les abus sont commis
dans le plus grand secret et de nombreux anciens détenus sont réticents à
parler par peur de représailles. Human Rights Watch a reçu d’autres
récits dignes de foi depuis avril, indiquant que ces violations
continuent.
La torture est endémique depuis longtemps dans le
système militaire et d’application des lois au Cameroun, notamment à
l’encontre des personnes suspectées d’être des membres ou des partisans
du groupe armé Boko Haram ou de groupes séparatistes armés. Les
autorités détiennent des personnes au secret et torturent des détenus au
SED depuis 2014 au moins. Les méthodes de torture documentées par Human
Rights Watch, y compris des passages à tabac sévères et des
quasi-noyades, ont aussi été utilisées à la fois dans des établissements
de détention officiels et non officiels, illégaux, dans le pays.
Parmi les personnes interrogées, trois ont déclaré être d’anciens
combattants séparatistes ; les autres ont dit être des civils. Quatorze
ont fait état d’abus physiques qui constituent des actes de torture et
onze ont indiqué avoir été témoins de torture sur d’autres détenus et
avoir subi des menaces. Les 26 détenus, y compris deux femmes et un
enfant de 18 mois, ont tous été placés au secret au SED, entre janvier
2018 et janvier 2019, beaucoup pendant plusieurs mois, sans aucun
contact avec leur famille, leurs amis ou leur conseiller juridique.
Les familles et les avocats des anciens détenus, ainsi que des experts
légistes, des photos, des vidéos et d’autres sources ont corroboré les
récits. À l’exception des deux femmes et de l’enfant, qui ont tous été
relâchés, les autres ont en fin de compte été présentés à des procureurs
militaires et inculpés pour crimes en vertu de la législation contre le
terrorisme de 2014 du Cameroun.
Cinq anciens détenus ont
expliqué que leur présence au SED a été cachée aux observateurs
internationaux, y compris au Comité international de la Croix-Rouge,
dont les délégués ont visité le site en juillet 2018.
Les
gendarmes et d’autres agents au centre de détention ont fait usage de
torture et d’autres mauvais traitements pour contraindre les suspects à
avouer des crimes ou pour les humilier et les punir, ont précisé les
anciens détenus. Suite aux interrogatoires qui pouvaient inclure de la
torture, ils ont été forcés de signer des déclarations qu’ils n’ont pas
été autorisés à lire ou qu’ils n’ont pas pu lire parce qu’elles étaient
rédigées en français.
Un mécanicien automobile du département de
Ngo-Ketunjia, dans la région du Nord-Ouest, qui a été détenu au centre
pendant une année avant d’être transféré à la prison centrale de Yaoundé
au début de l’année 2019, a décrit les mauvais traitements qu’il a
subis : « Les gardes utilisaient tous les objets qu’ils pouvaient
trouver à proximité pour nous frapper, comme des spatules de cuisine,
des pierres, des bâtons et des câbles électriques. Ils nous ont battus
comme du bétail. »
Le traitement des détenus au SED enfreint la
loi camerounaise et le droit international relatif aux droits humains.
Le Cameroun est un État partie au Pacte international relatif aux droits
civils et politiques et à la Convention contre la torture, qui
interdisent tous les deux la torture et les autres mauvais traitements.
La détention au secret prolongée est une forme de peine ou de traitement
cruel, inhumain et dégradant. En vertu du droit international, la
torture est un crime soumis à la compétence universelle, ce qui signifie
que tout pays peut juger de tels actes indépendamment du lieu où le
crime a eu lieu ou de la nationalité de l’auteur des abus ou de la
victime.
Image tirée d’une vidéo montrant un séparatiste armé
présumé se faire torturer par des gendarmes dans la région du Sud-Ouest
du Cameroun lors de son arrestation en mai 2018.
DÉPLIER
Image tirée d’une vidéo montrant un séparatiste armé présumé se faire torturer par des gendarmes dans la région du Sud-Ouest du Cameroun lors de son arrestation en mai 2018. © 2018 Privé
Les anciens détenus ont indiqué que parmi ceux qui les maltraitaient figuraient des agents de la gendarmerie de rang subalterne et intermédiaire. Les anciens détenus ont fourni les noms de 27 agents ayant commis des actes de torture, dont trois qui ont été mentionnés séparément par au moins 12 détenus qui avaient été soit soumis à de la torture soit témoins de torture dans l’établissement en 2018.
DÉPLIER
Image tirée d’une vidéo montrant un séparatiste armé présumé se faire torturer par des gendarmes dans la région du Sud-Ouest du Cameroun lors de son arrestation en mai 2018. © 2018 Privé
Les anciens détenus ont indiqué que parmi ceux qui les maltraitaient figuraient des agents de la gendarmerie de rang subalterne et intermédiaire. Les anciens détenus ont fourni les noms de 27 agents ayant commis des actes de torture, dont trois qui ont été mentionnés séparément par au moins 12 détenus qui avaient été soit soumis à de la torture soit témoins de torture dans l’établissement en 2018.
Les tribunaux et la gendarmerie ont
ignoré les allégations de torture soulevées aux procès et les demandes
des avocats pour faire cesser la détention au secret. Les avocats ont
indiqué que les juges ont rejeté les allégations de torture des prévenus
et n’ont pas ordonné d’enquêtes rapides et impartiales sur les
allégations de torture, comme exigé par la loi nationale et le droit
international relatif aux droits humains.
Les séparatistes armés
au Cameroun ont aussi commis de graves abus, y compris des attaques
contre des écoles, des meurtres, des enlèvements et de l’extorsion.
Human Rights Watch a confirmé trois incidents distincts depuis août
2018, dans lesquels des combattants séparatistes ont blessé sept civils,
et des dizaines d’autres cas d’attaques apparemment illégales contre
des ouvriers agricoles dans des plantations de bananiers près de Tiko,
dans la région du Sud-Ouest. En janvier 2019, des séparatistes armés ont
battu sévèrement un homme de l’ethnie Fulani à coups de bâtons et de
machettes dans le département de la Momo, dans la région du Nord-Ouest.
Les leaders séparatistes devraient donner des ordres clairs pour
empêcher les combattants d’attaquer des civils et de maltraiter les
personnes qu’ils détiennent, a déclaré Human Rights Watch.
Le
gouvernement camerounais a publiquement affirmé que la détention non
officielle et la torture n’existent pas au Cameroun. Toutefois, le
gouvernement n’a pas répondu au courrier de Human Rights Watch
présentant ses conclusions et demandant une réponse à des questions
spécifiques.
Les autorités camerounaises devraient immédiatement
cesser l’usage de la torture et des autres mauvais traitements au SED et
dans les autres établissements de détention, a expliqué Human Rights
Watch. Elles devraient mettre fin à la détention au secret et garantir
que tous les détenus ont accès à leur avocat et aux membres de leur
famille et reçoivent des soins médicaux appropriés.
Les autorités
devraient mener rapidement des enquêtes crédibles sur toutes les
allégations de torture, de traitements cruels, inhumains ou dégradants
au SED et dans tous les autres lieux de détention. Elles devraient
s’assurer que tout le personnel des forces de sécurité et les autres
agents des lieux de détention soient correctement sanctionnés ou
traduits en justice. Les hauts responsables devraient rendre des comptes
du fait de la responsabilité de commandement.
En l’absence
d’effort sérieux du gouvernement camerounais pour aborder le problème de
la torture, les partenaires internationaux du Cameroun devraient
reconsidérer leur soutien, y compris la formation et le développement de
capacités, aux institutions directement impliquées dans ces atteintes
aux droits humains.
« La responsabilité du gouvernement
camerounais de protéger sa population face aux groupes armés ne justifie
jamais l’usage de la torture », a conclu Lewis Mudge. « Pour restaurer
la confiance, le gouvernement devrait respecter l’État de droit en
mettant fin aux pratiques illégales et en traduisant les responsables en
justice. »
Informations complémentaires sur la torture et la détention au secret au SED
Depuis le début de la crise dans les régions anglophones du Cameroun à
la fin de l’année 2016, les forces de sécurité camerounaises ont arrêté
ou détenu au secret des centaines de personnes. De nombreuses personnes
ont été détenues pendant plusieurs mois et certaines ne sont toujours
pas réapparues. Les organisations de défense des droits humains locales
estiment que près de 1 000 personnes ont été arrêtées depuis la fin de
l’année 2016, parmi lesquelles 340 ont été libérées après deux décrets
présidentiels en août 2017 et en décembre 2018. Bon nombre ont été
inculpées en vertu de la loi contre le terrorisme de 2014, qui s’appuie
sur une définition extrêmement large du terrorisme qui pourrait être
utilisée pour restreindre les droits et les libertés fondamentaux et qui
permet au gouvernement de juger des civils illégalement devant des
tribunaux militaires. Les personnes reconnues coupables de terrorisme en
vertu de la loi de 2014 peuvent encourir la peine de mort.
Les
personnes interrogées par Human Rights Watch ont toutes été précédemment
détenues au Secrétariat d’État à la défense. Cet établissement est le
quartier général de la gendarmerie nationale, dirigée par le secrétaire
d’État à la défense en charge de la gendarmerie, Galax Yves Landry
Etoga, qui est placé sous l’autorité du ministre de la Défense. En mai
2012, suite aux allégations portées par des organisations de défense des
droits humains nationales et des avocats indiquant que les autorités
détenaient illégalement des suspects dans cet établissement, le
gouvernement l’a officiellement reconnu comme centre de détention formel
sous l’autorité du responsable de la prison centrale de Yaoundé.
Malgré les précédents rapports documentant des abus graves, le
gouvernement n’a fait aucun progrès visible pour mettre fin à la torture
et à la détention au secret. Il n’a pas non plus mis en œuvre les
recommandations de décembre 2017 du Comité contre la torture des Nations
Unies, y compris de garantir des enquêtes rapides, efficaces et
impartiales sur toutes les allégations de torture, de mauvais
traitements et de détention au secret, ainsi que des poursuites
judiciaires et des sanctions appropriées pour les auteurs d’abus
présumés.
Tous les anciens détenus interrogés par Human Rights
Watch ont été placés au secret, beaucoup pendant plusieurs mois, sans
aucun contact avec leur famille, leurs amis ou leur conseiller
juridique.
Détention au secret, disparitions forcées
Les
anciens détenus ont raconté qu’une fois arrêtés, on leur bandait
généralement les yeux, on leur passait des menottes ou des chaînes et on
les conduisait au SED, où ils étaient enfermés sans aucun contact avec
le monde extérieur, avant d’être emmenés dans une autre prison en
attendant d’être jugés ou libérés. Certains avaient aussi passé du temps
dans d’autres centres de détention dans le pays ou au Nigeria, y
compris dans des établissements de détention illégaux, avant d’être
transférés au SED. Quatre anciens détenus ont affirmé avoir été torturés
dans d’autres centres de détention avant d’être conduits au SED.
Les détenus ont indiqué avoir passé entre 3 et 12 mois au SED. Dix
étaient des leaders du Gouvernement par intérim de l’Ambazonie
autoproclamé, un groupe séparatiste, dont son président, Sisiku Julius
Ayuk Tabe. Ils ont expliqué qu’ils ont été autorisés à voir leurs
familles et leurs avocats uniquement six mois après avoir été transférés
vers le site.
De nombreux cas documentés constituent des
disparitions forcées. La Convention internationale contre les
disparitions forcées stipule qu’une disparition forcée se produit
lorsqu’une personne est privée de sa liberté par des agents de l’État,
suivi par un refus de reconnaître la privation de liberté ou par une
dissimulation du sort de la personne ou de l’endroit où elle se trouve.
En janvier, une femme de 29 ans du département de la Momo, dans la région du Nord-Ouest, a raconté à Human Rights Watch :
Je ne sais pas où se trouve mon mari exactement. Depuis le jour de son
arrestation, il a disparu. J’ai essayé de le chercher, mais je n’ai pas
réussi à le trouver. À un moment, j’ai pensé qu’il était mort. Ensuite,
des amis m’ont dit que ceux qui ont été arrêtés avec lui ont été libérés
du SED et ont été conduits à la prison centrale de Yaoundé. Donc, je
suis allée les voir et ils m’ont raconté que mon mari est détenu au SED
et que son état de santé n’est pas bon. Je suis allée au SED et j’ai
demandé à le voir, mais les gardes m’ont répondu qu’il n’était pas là.
Un ancien mécanicien automobile du département de Bui a expliqué qu’il a été détenu au SED pendant près d’un an. « Nous étions détenus au secret, personne ne savait où nous étions », a-t-il raconté. « Nous n’avions aucun contact avec nos familles. Nous ne pouvions appeler personne, ni recevoir de visites. Nos familles ont pensé que nous étions morts. » Il a été transféré à Yaoundé en janvier 2019 et est inculpé en vertu de la loi contre le terrorisme.
Un ancien mécanicien automobile du département de Bui a expliqué qu’il a été détenu au SED pendant près d’un an. « Nous étions détenus au secret, personne ne savait où nous étions », a-t-il raconté. « Nous n’avions aucun contact avec nos familles. Nous ne pouvions appeler personne, ni recevoir de visites. Nos familles ont pensé que nous étions morts. » Il a été transféré à Yaoundé en janvier 2019 et est inculpé en vertu de la loi contre le terrorisme.
Bien qu’étant une
infraction pénale distincte, l’acte de disparition forcée a aussi été
longtemps reconnu comme violant simultanément plusieurs protections des
droits humains, dont l’interdiction de torture et l’absence
d’arrestation et de détention arbitraires. Une disparition forcée est un
crime « continu » en vertu du droit international : elle perdure et
continue à infliger des souffrances à la famille de la victime, aussi
longtemps que le sort de la personne disparue est inconnu ou dissimulé.
Torture
Quatorze anciens détenus ont affirmé avoir été torturés au SED. Ils ont
décrit diverses méthodes et ont montré à Human Rights Watch des
photographies en expliquant qu’il s’agissait de cicatrices laissées sur
leurs corps par la torture. Human Rights Watch a consulté des experts
légistes, qui ont analysé les photographies et ont indiqué qu’elles
corroboraient les récits des victimes. Les anciens détenus ont dit
qu’ils étaient frappés avec divers objets, dont des bâtons en bois, des
planches, des câbles électriques, des machettes, des fusils, des
chaînes, des instruments de cuisine et d’autres éléments. Deux détenus
ont raconté qu’ils ont aussi été soumis à une quasi-noyade, avec leur
tête plongée de force dans des seaux d’eau.
Les anciens détenus
ont indiqué que la torture était utilisée pour les obliger à admettre
leur soutien aux groupes séparatistes armés, à identifier des amis et
des connaissances ou à fournir des noms de séparatistes armés, de
collaborateurs ou d’activistes anglophones.
Un ancien combattant du groupe séparatiste armé Ambazonia Defence Forces (Forces de défense de l’Ambazonie) a raconté :
Le SED était horrible. J’ai été frappé avec des machettes, des chaînes,
des bâtons et des câbles. Une fois, j’ai été torturé jusqu’à ce que je
perde connaissance. J’étais menotté pendant que j’étais frappé. Ma tête a
aussi été plongée de force dans un seau contenant de l’eau. C’était
comme si je me noyais.
Les victimes ont indiqué qu’elles ont été torturées seules et devant d’autres détenus. La majorité des anciens détenus ont précisé que les passages à tabac les plus sévères avaient lieu tôt le matin et avant les repas. Certains ont expliqué qu’ils ont été torturés chaque jour par sessions allant de 15 minutes à deux heures, alors que d’autres ont décrit avoir été torturés de manière aléatoire ou une seule fois.
Les victimes ont indiqué qu’elles ont été torturées seules et devant d’autres détenus. La majorité des anciens détenus ont précisé que les passages à tabac les plus sévères avaient lieu tôt le matin et avant les repas. Certains ont expliqué qu’ils ont été torturés chaque jour par sessions allant de 15 minutes à deux heures, alors que d’autres ont décrit avoir été torturés de manière aléatoire ou une seule fois.
Un homme de 39 ans de la région du
Sud-Ouest a raconté que des gardes l’ont frappé à la tête avec des
câbles électriques et aux doigts avec des bâtons en bois jusqu’à ce
qu’il perde ses ongles.
D’anciens détenus ont indiqué souffrir de
problèmes de santé suite aux tortures subies. Quatre d’entre eux ont
montré aux chercheurs de Human Rights Watch des cicatrices et des
marques sur leurs corps qu’ils décrivaient comme des séquelles de la
torture.
Les anciens détenus ont tous décrit avoir été traités de
manière dégradante pendant leur détention. Ils ont dit avoir subi des
menaces de torture, de mort et de violences contre leurs familles.
Un homme d’affaires de 37 ans arrêté en février 2018 dans le
département de la Meme dans la région du Sud-Ouest et qui a passé huit
mois en détention au secret sur le site a indiqué : « Ma réflexion et
mon raisonnement ne sont plus comme avant [la torture]. »
Un
ingénieur du département de Donga-Mantung, dans la région du Nord-Ouest,
qui a été détenu sur le site de juillet à octobre 2018, a raconté : «
Je n’ai pas été traité comme un être humain. J’ai été traité comme une
personne inférieure. Depuis que je suis sorti, j’ai du mal à dormir. »
Les anciens détenus ont indiqué qu’ils ont été forcés de signer des
déclarations qu’ils ne pouvaient pas lire ou comprendre. Un ancien
détenu a expliqué : « Si vous essayiez de lire la déclaration, ils vous
frappaient. Vous ne savez pas ce que vous signez et tout est écrit en
français. »
Les passages à tabac ont eu lieu principalement dans
ce que les détenus ont décrit comme des « bunkers », des cellules
souterraines. Certains passages à tabac ont aussi eu lieu, d’après les
récits, dans les cellules situées à l’étage supérieur du bâtiment. En
août 2017, les médias ont signalé une vidéo qui montrait une dizaine de
détenus enfermés dans des conditions effroyables dans une cellule de «
bunker » souterraine obscure sur le site.
Un ancien détenu arrêté
en février 2018 dans la région du Sud-Ouest et détenu dans
l’établissement pendant huit mois, a raconté :
J’ai été torturé
dans le bunker parce que si vous criez, personne ne peut vous entendre.
Et s’ils pensaient que vous criiez trop fort, ils enfonçaient des
morceaux de tissus dans votre bouche. Dans le bunker, nous avons mené
une grève de la faim pour protester contre la torture.
Les anciens détenus ont affirmé que la torture était principalement infligée par des agents de rang subalterne et intermédiaire. Ils ont identifié séparément 27 gardes, dont trois ont été cités par plus de 12 détenus. Au moins une dizaine d’anciens détenus ont chacun nommé trois personnes impliquées dans la torture, y compris deux sergents. Ils ont été capables d’identifier leurs tortionnaires en entendant les collègues des tortionnaires ou d’autres détenus prononcer leurs noms.
Les anciens détenus ont affirmé que la torture était principalement infligée par des agents de rang subalterne et intermédiaire. Ils ont identifié séparément 27 gardes, dont trois ont été cités par plus de 12 détenus. Au moins une dizaine d’anciens détenus ont chacun nommé trois personnes impliquées dans la torture, y compris deux sergents. Ils ont été capables d’identifier leurs tortionnaires en entendant les collègues des tortionnaires ou d’autres détenus prononcer leurs noms.
L’échelle des violations documentées indique la nécessité d’ouvrir une
enquête indépendante qui examinerait le rôle des agents de tous rangs au
centre de détention. En 2010, le Cameroun a terminé le processus de
ratification national du protocole facultatif à la Convention contre la
torture, autorisant des visites dans les centres de détention par le
Sous-comité pour la prévention de la torture prévu par le protocole.
Cependant, la ratification doit encore être formalisée avec l’ONU.
Mauvais traitements, soins de santé inadéquats en détention
Les anciens détenus ont décrit des conditions de détention sur le site
qui constituent un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Ils ont
rapporté une grave surpopulation, une alimentation inappropriée et
insuffisante, un manque d’hygiène, une mauvaise assistance médicale et
aucun accès à l’air frais ou à la lumière du soleil. La plupart ont
signalé avoir été forcés de dormir sur un sol humide dans des cellules
petites et sales.
Certains ont indiqué qu’ils avaient été détenus
avec 18 personnes dans une cellule mesurant environ trois mètres
carrés. Ils ont tous rapporté avoir dormi sur le sol, avec peu ou pas
d’espace pour étendre leurs jambes. Quatorze ont signalé avoir été
détenus au moins une fois dans les cellules du « bunker ». Cinq ont
raconté qu’ils étaient cachés aux observateurs internationaux. Une
ancienne détenue a expliqué :
Une fois j’ai été sortie de ma
cellule parce que les gardes ont dit qu’ils devaient vaporiser des
produits chimiques pour la désinfecter, mais c’était parce que la
Croix-Rouge visitait le bâtiment du SED et les gardes m’ont cachée. J’ai
été conduite en bas, au sous-sol, dans le bunker. Il y avait tellement
de personnes là et la situation était terrible. Les personnes
ressemblaient à des animaux, pas à des êtres humains.
Un ancien détenu âgé de 23 ans a décrit les conditions sanitaires dans l’une des cellules du « bunker » où il a été enfermé pendant huit mois. « Les gardes nous donnaient seulement un morceau de savon pour 12 personnes par mois », a-t-il indiqué. « Nous ne nous sommes pas brossé les dents pendant des mois. »
Un ancien détenu âgé de 23 ans a décrit les conditions sanitaires dans l’une des cellules du « bunker » où il a été enfermé pendant huit mois. « Les gardes nous donnaient seulement un morceau de savon pour 12 personnes par mois », a-t-il indiqué. « Nous ne nous sommes pas brossé les dents pendant des mois. »
Les anciens détenus ont expliqué qu’une femme
médecin et des infirmiers en uniforme leur ont rendu visite dans leurs
cellules et leur ont donné des médicaments de base, principalement des
antidouleurs.
L’alimentation n’était pas appropriée. Les anciens
détenus ont indiqué que les rations étaient fournies habituellement une
ou deux fois par jour et provoquaient souvent des diarrhées ou des
douleurs au ventre.
Retour forcé du Nigeria
Seize des
anciens détenus interrogés ont été arrêtés au Nigeria et ont été
renvoyés de force au Cameroun malgré leur enregistrement comme réfugiés
ou demandeurs d’asile. Le gouvernement nigérian a renvoyé ces hommes,
avec au moins 42 autres, en janvier et en mars 2018, en violation du
principe de non-refoulement – pratique consistant à ne pas forcer des
réfugiés ou des demandeurs d’asile à retourner dans un pays dans lequel
ils peuvent faire l’objet de persécutions ou être exposés à un risque de
torture ou de peine ou de traitement cruel, inhumain ou dégradant. Le
Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a condamné leur
retour forcé au Cameroun. Plus d’un demi-million de personnes a été
déplacé depuis la fin de l’année 2016 suite aux agitations dans les
régions anglophones, dont 30 000 au Nigeria.
Les autorités
nigérianes devraient immédiatement mettre en place des mesures efficaces
pour protéger les Camerounais vulnérables d’un retour forcé au Cameroun
en violation de leurs droits en tant que réfugiés et demandeurs
d’asile, a déclaré Human Rights Watch.
Abus récents commis par des séparatistes
Depuis juillet 2018, des groupes séparatistes armés ont agressé
physiquement des dizaines de travailleurs de la Cameroon Development
Corporation (CDC), une société agroalimentaire publique. Human Rights
Watch a parlé à sept victimes de trois incidents, qui travaillaient
toutes dans les plantations de bananiers de la société près de Tiko,
dans la région du Sud-Ouest. Elles ont été soit frappées soit mutilées
et, dans un cas, blessées par balle. Les travailleurs ont indiqué qu’ils
ont été pris pour cible parce qu’ils refusaient d’appliquer une grève
générale lancée par les séparatistes.
Une femme de 49 ans, qui
figurait parmi les 49 travailleurs frappés ou mutilés lors d’une attaque
menée par les séparatistes sur la plantation de bananiers de la CDC à
Mafange le 24 août 2018, a raconté :
Les séparatistes étaient
armés de fusils de chasse et de machettes. Ils ont commencé à nous
frapper un collègue et moi. Ils m’ont frappée à la tête et au dos
plusieurs fois. Je suis tombée sur le sol et ils ont continué à me
frapper au dos et aux genoux.
Un homme de 47 ans qui a été attaqué à la plantation de bananiers de Dungo Estate de la société le 31 octobre 2018 a expliqué :
J’ai vu sept hommes venir avec des machettes et des fusils. Ils étaient
jeunes et m’ont parlé en pidgin-english. Il y avait un commandant parmi
eux, il donnait des ordres aux autres garçons. Il a dit : « Avez-vous
déjà entendu parler des Amba ? Je suis le chef des Amba. Pourquoi
travaillez-vous ? Vous n’êtes pas censés travailler ! » L’un d’eux a
pointé un fusil sur moi. Un autre a mis des feuilles de bananier dans ma
bouche pour que je ne puisse pas crier. Ils m’ont frappé avec les
machettes dans le dos. Puis, ils ont frappé ma main droite avec la
machette et m’ont presque coupé deux doigts. Je saignais beaucoup. Ils
s’en fichaient. Ils m’ont mis au sol et lié les mains dans le dos.
J’étais face contre terre. J’ai alors ressenti une immense douleur. L’un
d’eux m’avait tiré une balle dans la fesse droite. Ils m’ont abandonné
comme ça.
Human Rights Watch a recueilli des témoignages de sources fiables indiquant que les séparatistes ont mené d’autres attaques contre les travailleurs de la société près de Tiko au début du mois de janvier 2019. La CDC est le second plus gros employeur au Cameroun et gère des plantations de bananiers, de palmiers à huile et d’arbres à caoutchouc dans la région du Sud-Ouest du Cameroun. La plupart de ses usines ont été fermées sur fond de menaces séparatistes.
Human Rights Watch a recueilli des témoignages de sources fiables indiquant que les séparatistes ont mené d’autres attaques contre les travailleurs de la société près de Tiko au début du mois de janvier 2019. La CDC est le second plus gros employeur au Cameroun et gère des plantations de bananiers, de palmiers à huile et d’arbres à caoutchouc dans la région du Sud-Ouest du Cameroun. La plupart de ses usines ont été fermées sur fond de menaces séparatistes.
Fuler Ayamba,
Secrétaire général des Forces de défense de l’Ambazonie (Ambazonia
Defence Forces), a affirmé dans un courrier du 14 mars adressé à Human
Rights Watch que le groupe condamnait la mutilation des travailleurs de
la société et que les combattants du groupe n’en étaient pas
responsables.
Human Rights Watch a aussi documenté des cas d’abus
par des séparatistes dans d’autres secteurs des régions du Sud-Ouest et
du Nord-Ouest.
En janvier, au moins 10 séparatistes armés ont
enlevé et torturé un homme de l’ethnie Fulani près du village
d’Alabukam, dans la région du Nord-Ouest. Ils l’accusaient de collaborer
avec l’armée. Human Rights Watch a analysé une vidéo qui est apparue en
avril montrant au moins trois séparatistes avec des machettes et des
bâtons menaçant et torturant l’homme, qui était nu et ligoté sur le sol.
Un ami de la victime a raconté à Human Rights Watch que l’homme était
porté disparu depuis l’enlèvement et l’a reconnu sur la vidéo : « Je
pense qu’il est mort. Je pense que les ‘Amba boys’ [les séparatistes]
l’ont tué. Les Amba ciblent les Mbororo [l’ethnie Fulani]. Ils les
accusent d’informer les militaires. » Toutes les sources qui ont parlé
avec Human Rights Watch de cette affaire ont affirmé que les assaillants
appartenaient au groupe séparatiste Ambazonia Defense Forces.
Cependant, le groupe séparatiste a nié toute responsabilité. Human
Rights Watch a documenté au moins 10 autres cas impliquant des abus
commis par des séparatistes contre l’ethnie Fulani depuis décembre.
Le 4 février vers 7 h 45, environ cinq séparatistes armés ont attaqué
une femme de 24 ans à Buea, dans la région du Sud-Ouest. Ils
l’accusaient d’avoir ouvert un restaurant le jour où les séparatistes
avaient annoncé une grève générale. Ils lui ont entaillé la jambe droite
avec une machette et ont frappé à plusieurs reprises un homme de 23 ans
dans le dos avec une fourche
Source: hrw.org