A la création d'un syndicat étudiant en 1995 à l'université de Buea,
capitale de la région du Sud-
Ouest, personne n'aurait pu croire que ses
fondateurs deviendraient des leaders de la lutte armée dans les régions
anglophones du Cameroun.
Cho Ayaba et Ebenezer Akwanga, qui sont aujourd’hui chefs
de groupes armés dans l’ouest camerounais, avaient lancé à l’époque à
l’université de Buea (UB) un syndicat prônant l’ »argument de la force »
pour revendiquer l’indépendance anglophone vis-à-vis de Yaoundé.
Après son interdiction, d’autres leaders du mouvement séparatiste armé, qui combattent contre l’armée camerounaise déployée en force dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest,
sont depuis passés par la fac de Buea : Mark Bareta, devenu
propagandiste pro-séparatiste sur les réseaux sociaux, Tanku Ivo Tapang,
ancien journaliste exilé aux Etats-Unis.
« A l’université de Buea, on réfléchit. On peut penser à notre
histoire, et quand on la regarde, on voit que ça ne va pas, qu’il y a
des problèmes » au Cameroun anglophone, explique anonymement un étudiant
en master de recherche de la plus importante université anglophone du
pays.
Un professeur en sciences politiques, sous couvert d’anonymat,
énumère ces « problèmes » : l’omniprésence des francophones aux postes à
responsabilité, le non-respect d’un référendum d’auto-détermination en
1961, le mépris des francophones vis-à-vis des anglophones.
Depuis plusieurs mois, la crise s’est muée en conflit armé dans les
deux régions anglophones, les séparatistes s’en prenant aux symboles de
l’Etat, allant jusqu’à tuer des membres des forces de sécurité, l’armée
répondant par la force.
Les revendications anglophones
ont toujours été au cœur des débats de l’UB depuis sa création en 1993.
« On n’en parle pas en cours, car on peut avoir des professeurs
francophones, mais entre nous, toujours », explique l’étudiant en
master.
En réaction, l’université a « une gouvernance autoritaire plutôt que
démocratique, pour en assurer le contrôle politique et la loyauté » à
Yaoundé, selon les travaux en 2009 de Piet Konings, chercheur hollandais
à l’Université de Lieden (Pays-Bas).
« Émeutes »
Chaque année, 12.000 étudiants – une majorité d’anglophones – passent les portails du large campus niché au cœur de la ville.
En 2006, la création d’un département de médecine à Buea dégénère en émeutes qui font deux morts et des blessés en ville.
Tandis que seuls des anglophones ont été admis au concours d’entrée
du nouveau département, Yaoundé, sur la base de l’ »unité nationale »,
refuse alors ces résultats et impose des francophones parmi les admis,
suscitant la révolte.
Malgré une politique affichée de quotas pour éviter la
marginalisation de la minorité anglophone, « Yaoundé n’a jamais
réellement voulu des anglophones », selon John, étudiant en master de
sciences politiques dont le prénom a été changé.
La marginalisation, « on la voit partout, dans chaque corps de métier ».
« A l’Université comme partout à Buea, beaucoup de postes à
responsabilités sont tenus par des francophones, qui plus est souvent
membres du parti au pouvoir », estime le professeur en sciences
politiques, qui dit ressentir « beaucoup de frustration parmi (ses)
élèves anglophones ».
« Boîte de Pandore »
En 2016, de nouveaux événements à l’université sont considérés comme déclencheurs de la crise actuelle.
Fin novembre, une marche pacifique pour réclamer le versement d’une
prime promise par le président Biya et le rétablissement d’un syndicat
étudiant interdit en 2012, est violemment réprimée par les autorités.
« Pour la première fois dans l’histoire de l’université, en 2016 la
police est entrée sur le campus. Des filles ont été violées, d’autres
humiliées, des gens ont été arrêtés chez eux », raconte John.
Les images de la répression sont vite devenues virales. Selon
International Crisis Group (ICG), la médiatisation de ces « bavures » a
contribué à « pousser à bout les populations », et à ouvrir « la boîte
de Pandore du problème anglophone ».
« Longtemps, on a su garder cette frustration pour nous. Mais avec
les événements de 2006 et ceux de 2016, on se dit que trop, c’est trop.
Il va y avoir la révolution à l’UB et au Cameroun anglophone », veut
croire John.
Pour les séparatistes, l’université est devenue un symbole de leur Etat fantasmé, dont Buea serait la capitale.
Mais aujourd’hui, l’immense campus est calme. Des étudiants se
préparent sur les flancs du mont Cameroun à un concours sportif
inter-universités, d’autres boivent des bières et palabrent dans les
bars attenants à la fac.
« Le séparatisme à l’université, ce sont les +fous+ comme Bareta qui
l’ont instauré, ils ont manipulé des élèves », enrage Blaise, un ancien
étudiant et ex-camarade de classe de Mark Bareta.
« Ils ont fait des syndicats étudiants des plateformes politiques »,
peste-il, ajoutant : « l’université de Buea, ce n’est pas la guerre,
c’est le savoir ! »
Source: jeune afrique