Le précédent libyen fait redouter à la Mauritanie, au Mali et au Niger
les conséquences d’une crise
algérienne qui entre dans sa cinquième
semaine de manifestations.
Ce n’est pas en se tournant vers le sud que les manifestants
algériens trouveront un soutien sans réserve. Que ce soit au Mali, en
Mauritanie ou au Niger, la même préoccupation pointe : subir les
contrecoups d’une éventuelle déstabilisation de ce puissant voisin
septentrional.
« L’Algérie est un pays stable dans
une région très affectée par la crise libyenne. Tout ce qui est de
nature à remettre en cause cette stabilité nous inquiète au plus haut
point », confie une importante source gouvernementale au Niger. Si
les relations entre les deux pays ont connu quelques pics de tension
en 2018 après qu’Alger eut expulsé plusieurs milliers de migrants
subsahariens au Niger, à Niamey, on préfère désormais parler « des relations très fluides » et d’« une coopération très positive ». « Au Sahel, où se sont développés les trafics, l’Algérie est un facteur de stabilité, poursuit le ministre précédemment cité.
Si un grand pays comme celui-ci ne peut plus contrôler ses frontières,
notre sécurité sera encore un peu plus difficile à assurer. »
Le précédent libyen et la déstabilisation du Sahel qu’engendra la chute de Mouammar Khadafi en 2011 hantent encore les esprits. « Nous
regardons tous l’évolution de notre grand frère du Nord en espérant
qu’il n’y aura ni dérapage, ni débordement. La déstabilisation de la
Libye a provoqué le désordre du Mali. Avec l’Algérie, cela pourrait être
bien pire, car elle est l’Etat central du Maghreb », souligne
depuis Nouakchott Dahane Ahmed Mahmoud, le directeur exécutif de
l’Institut mauritanien d’études stratégiques et ancien chef de la
diplomatie de son pays.
Pays pivot
La
Mauritanie, pays pivot entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne,
scrute en effet avec attention le mouvement populaire qui agite ce
voisin avec lequel elle partage environ 500 kilomètres de frontière,
mais c’est au Mali que les enjeux sont les plus importants, tant le
destin des deux pays est lié.
La nouvelle crise
politico-militaire dans laquelle le Mali a basculé en 2012 est en partie
la résultante de l’effondrement du régime libyen. Celui-ci engendra la
dissémination d’arsenaux de guerre et de combattants touareg jusque-là
choyés par Tripoli. Cependant, la désagrégation sécuritaire du Nord
malien est aussi à lier à l’arrivée, dix ans plus tôt, de figures
algériennes des Groupes islamiques armés (GIA). C’est dans les contrées
désertiques maliennes, où le contrôle de l’Etat est minimal, que Mokhtar
Belmokhtar, Abdelhamid Abou Zeïd ou Yahia Abou Al-Hamman vont trouver
une base arrière pour internationaliser leur djihad, fonder Al-Qaida au
Maghreb islamique (AQMI) et imposer un temps leur conception de l’islam
aux populations du nord du pays.
Entre
le nord du Mali et le sud de l’Algérie, les liens commerciaux,
sociétaux et politiques sont profonds et complexes. Une bonne partie des
produits consommés à Kidal, par exemple, sont importés depuis le voisin
septentrional, bon nombre de familles sont réparties des deux côtés de
la frontière et Alger a toujours maintenu un œil et une main dans les
révoltes successives des populations touareg depuis l’indépendance
malienne. Une fois encore, c’est en Algérie que le gouvernement de
Bamako et les rébellions majoritairement touareg ont négocié en 2015 un
accord de paix, qui tarde encore à être appliqué.
Si « l’attachement à la souveraineté territoriale » et « le refus de l’ingérence » dans les affaires d’autres Etats souverains constituent des « lignes rouges » de la diplomatie algérienne, « les
menaces sécuritaires engendrées par les situations en Libye et au Mali
ont cependant poussé les autorités à infléchir, ponctuellement, ce
principe », écrit la doctorante en relations internationales Pauline Poupart dans la revue Hérodote
consacrée au premier trimestre 2019 à la « Géopolitique du Sahel et du
Sahara ». L’autorisation qui aurait été accordée aux Rafale français en
janvier 2013, lors du déclenchement de l’opération « Serval », de
survoler le territoire algérien en témoigne, même si les relations entre
Paris et Alger demeurent empreintes de suspicion et de rivalités.
Goût de l’inconnu
D’un
côté, l’Algérie n’a jamais digéré le déploiement de troupes étrangères à
quelques kilomètres de ses frontières. De l’autre, pour la France, la
clé du problème Iyad Ag-Ghali, principale figure du djihad au Mali, est à
chercher du côté du renseignement algérien. Aujourd’hui à la tête du
Jamaat Nosrat Al-Islam wal-Mouslimin (JSIM, « groupe pour le soutien de
l’islam et des musulmans »), Iyad Ag-Ghali est en lien avec l’Algérie
depuis le début des années 1990 et sa première vie de chef rebelle,
lorsqu’il négocia à Tamanrasset un accord de paix avec Bamako sous la
houlette des services algériens. « Même si des relations avec des
personnalités de l’Etat peuvent exister, ce soupçon de connivence avec
l’Etat est à avancer avec prudence. Iyad est sur la liste des
terroristes internationaux, y compris pour l’Algérie. Cela m’a été
confirmé plusieurs fois », avance l’ancien ministre des affaires étrangères du Mali, Tiéman Hubert Coulibaly, pour qui « l’Algérie n’a aucun intérêt à déstabiliser le Mali ».
Pour
lui, comme pour toutes les sources interrogées dans ce pays, la
préservation de la stabilité demeure la préoccupation première. « Le
moment est historique et délicat, mais il ne faut pas qu’il y ait
rupture, et encore moins rupture violente, de la continuité de l’Etat
algérien », déclare M. Coulibaly. « L’avenir ne peut pas être prédit mais, jusque-là, nous ne voyons pas les événements actuels comme un nouveau “printemps arabe”, ce qui est rassurant », indique pour sa part un cadre de la présidence à Bamako.
Toutes
les personnalités officielles au Sahel contactées décrivent également
un même chemin pour trouver une issue à la contestation : « Que les acteurs algériens trouvent entre eux, sans interférence extérieure, une solution à leur problème interne. » A les entendre, le nouveau vice-premier ministre, Ramtane Lamamra, est la personne idéale pour
« permettre à toutes les tendances de s’exprimer lors de la Conférence
nationale, tout en faisant valoir le point de vue des autorités. » Le
diplomate, qui fut commissaire paix et sécurité de l’Union africaine
(UA) avant de prendre les commandes du ministère des affaires étrangères
algérien, est une vieille connaissance dans la région. Depuis
l’expérience libyenne, le Sahel a définitivement perdu le goût de
l’inconnu.
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