Une interdiction des équipementiers chinois ferait grimper l’addition de la 5G de près de 55 milliards
Huawei ou pas Huawei ? Le dilemme ne
cesse d’agiter le petit monde des télécoms alors que la pression
s’intensifie sur le géant chinois, premier fournisseur mondial
d’équipements réseaux. Face aux atermoiements de l’Europe et à
l’incertitude qui pèse sur l’avenir de la firme de Shenzhen depuis
qu’elle est frappée d’une menace d’interdiction de commercer avec ses
fournisseurs américains, la confusion règne chez les opérateurs du vieux
continent, qui hésitent pour certains à se tourner, dans le doute, vers
la concurrence.
Se
passer de Huawei pourrait cependant coûter cher aux professionnels des
télécoms européens ainsi que le constate une étude conduite en avril par
la GSMA, l’association des opérateurs et constructeurs de téléphonie
mobile, qui regroupe plus de 750 acteurs du secteur à travers le monde.
Selon ce document, qui n’a pas été rendu public et que Le Monde
a pu consulter, une exclusion des vendeurs chinois d’équipements
télécoms du marché européen augmenterait la facture du déploiement de la
5G d’environ 55 milliards d’euros pour les opérateurs européens. Un
surcoût financier qui pourrait, si l’hypothèse se réalise, peser sur la
capacité des opérateurs télécoms à maintenir leurs investissements dans
les réseaux.
Un retard d’au moins dix-huit mois
Au-delà
de l’impact financier, la GSMA s’inquiète également d’un possible
retard à l’allumage de la 5G sur le continent. Le groupement industriel
estime qu’une exclusion des équipementiers chinois entraînerait un
retard d’au moins dix-huit mois dans le déploiement de la nouvelle
génération de réseau mobile en Europe.
« Un
tel retard accentuerait l’écart dans le taux de pénétration de la 5G
entre l’Union européenne et les Etats-Unis d’au moins 15 points de
pourcentage d’ici 2025 », explique le rapport.
A
l’heure où la 5G est déjà une réalité dans certaines villes de Corée du
Sud, des Etats-Unis ou de Grande-Bretagne, un décalage d’un an et demi
constituerait un handicap pour la compétitivité économique de l’Europe,
dont le préjudice est évalué par la GSMA à 15 milliards d’euros d’ici
2025. La 5G, grâce à ses débits décuplés et à son temps de réaction très
faible, qui promettent de révolutionner les usages dans l’industrie, la
santé, les transports ou encore le divertissement, est en effet
considérée comme un atout stratégique. Lors d’une visite dans les locaux
d’Ericsson à Massy, Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’Etat auprès du
ministre de l’économie et des finances a rappelé, vendredi 7 juin, son
attachement à une diversité des acteurs sur le marché. « En tout
état de cause, nous ne soutiendrons jamais cette guerre commerciale dont
nous pensons qu’elle est perdante pour l’ensemble des pays du monde », a-t-elle réagi.
Inquiètude des opérateurs
Le
retard de dix-huit mois invoqué par la GSMA serait en partie imputable
aux délais liés aux changements de matériels. La construction des
réseaux 5G pourrait en effet nécessiter au préalable de retirer et
remplacer les équipements 4G de Huawei déjà installés. Une opération
complexe, qui requiert du temps.
Sans
Huawei, qui détient 28 % des parts du marché des équipements réseaux en
Europe, la liste de fournisseurs pour les opérateurs mobiles serait par
ailleurs réduite à Nokia et Ericsson, et dans une moindre mesure,
Samsung. Une situation qui inquiète les opérateurs, qui doutent, pour
une partie d’entre eux, de la capacité des fournisseurs concurrents du
groupe de Shenzhen à absorber un surcroît de commandes et à répondre
dans des délais rapides aux demandes de livraison simultanées des
opérateurs américains, asiatiques et européens.
Des appréhensions que réfute avec force le patron d’Ericsson en France, Franck Bouétard. « L’année
dernière, nous avons eu une augmentation de 40 % de nos capacités de
production. Et s’il faut réaugmenter de 40 %, nous augmenterons. Nous
saurons faire face à la demande. Nous livrons aujourd’hui des opérateurs
pour la 5G partout dans le monde, et nous n’avons aucun problème de
fourniture », a t-il précisé au Monde.